Loi Création et Internet : vers un vote définitif en février-mars

La ministre de la Culture veut aller vite, l’Industrie s’impatiente

L’ambiance n’y est pas. Le 43e Marché international de la musique qui se tient actuellement à Cannes est plombé par la crise économique et surtout par la chute continue des ventes disques physiques. Le marché global de la musique en France a généré 600 millions d’euros en 2008 contre 966 millions en 2005 et 1,3 milliard en 2002. La baisse n’est pas encore compensée par l’essor de la musique numérique (70 millions d’euros en 2008 contre 30,7 millions en 2005).

Chrstine Albanel la ministre de la Culture et de la Communication a d’abord tenu à souligner qu’elle comprennait les craintes de l’Industrie. « Nous sommes confrontés à un désastre culturel mais aussi industriel et social, puisque les maisons de disques ont perdu un tiers de leurs effectifs », a-t-elle souligné lors de son discours à l’ouverture du Midem.

Angoissé, le secteur attend maintenant l’application effective de la loi Création et Internet. Christine Albanel, a donc tenté de rassurer les professionnels. « Nous faisons absolument tout pour que le projet de loi arrive à l’Assemblée nationale fin février, de toute façon, ce sera fin mars au plus tard ».

Pour aller encore plus vite, la ministre a demandé que soit lancé « immédiatement la rédaction des futurs textes d’application, les semaines qui nous séparent du vote ne doivent pas être perdues ».

Rappelons que le texte adopté par le Sénat divise. En cas de téléchargement illégal, les internautes recevront d’abord des messages d’avertissement par mail et par lettre recommandée, avant de se voir couper leur accès Internet en cas de récidive sauf s’il accepte une transaction.

Ce sera la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur l’internet (Hadopi) qui sera chargée d’appliquer les sanctions.Son budget devrait avoisiner les 15 millions d’euros. Elle agira donc en dehors de toute procédure juridique…

Christine Albanel a bien précisé que la loi était bien là pour sanctionner les personnes qui ont des habitudes de téléchargement, c’est-à-dire à peu près tout le monde ayant un ordinateur, puisqu’elle promet l’envoi de 10.000 messages électroniques par jour comme premier avertissement et vise une réduction de 70% du piratage….

Face aux critiques liées à la sanction suprême, la coupure pure et simple de l’accès, les sénateurs ont adopté un amendement qui introduit la possibilité d’une suspension partielle de l’abonnement en laissant certains services comme la messagerie, à l’internaute. La baisse du débit pourra être appliquée, si elle est faisable techniquement.

Dans les zones non dégroupées, où couper l’Internet revient à couper aussi le téléphone (1,2 million de foyers), l’accès ne sera pas suspendu mais l’internaute devra prouver qu’il utilise un outil pour empêcher tout téléchargement illégal… Quel outil, comment le vérifier, devra-t-on installer un mouchard ? La loi ne le précise pas.

Outre les réactions franchement hostiles des associations de consommateurs, la Cnil et certains députés critiquent vertement le texte.

« Les seuls motifs invoqués par le gouvernement afin de justifier la création du mécanisme confié à l’HADOPI résultent de la constatation d’une baisse du chiffre d’affaires des industries culturelles. À cet égard, elle déplore que le projet de loi ne soit pas accompagné d’une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux pair à pair sont le facteur déterminant d’une baisse des ventes« . La Commission nationale Informatique et libertés rejoint ici les nombreux observateurs qui soulignent que le P2P ne peut être tenu responsable de tous les maux d’une Industrie qui a raté le virage du numérique.

Patrick Bloche, député de Paris et co-président de groupe d’études sur Internet et les technologies de l’information, affirmait il y a quelques jours lors d’un colloque sur la question à l’Assemblée nationale: « tout comme la loi DADVSI, la riposte graduée est un pari perdu d’avance. Il s’agit d’une logique d ‘opposition entre internautes et opérateurs. Les problèmes sont moins juridiques que d’ordre commerciaux ».

Le socialiste poursuit, la riposte va faire naître de nombreux contentieux.Pensez aux fausses IP, aux réseaux WiFi non-sécurisés« . Un orateur du colloque ajoutant même : « Si on s’oppose à un moyen de télécharger illégalement. Un autre prendra sa place, voilà tout« .

L’Europe pourrait également avoir son mot à dire puisque le Paquet Télécom inclut un amendement qui rejette le principe de riposte graduée…

Rappelons que la loi Hadopi prévoit également l’essor des offres légales. Sur ce point, les Majors estiment faire le maximum. En effet, Universal et Sony ont emboîté le pas de EMI et Warner en annonçant la suppression prochaine des DRM sur leur musique vendue en ligne. Un geste fort attendu pour faire véritablement décoller les plates-formes légales.

La balle est désormais dans le camp des députés…

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