Loi Numérique : le volet Open Data adopté mais dérogations multiples (MAJ)

Les ambitions du gouvernement en matière d’Open Data, à savoir inscrire dans la loi pour une République numérique le principe d’ouverture par défaut et de libre réutilisation des données publiques, ont été contrariées au Sénat.

Le Sénat poursuit l’examen du projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire, et donne son feu vert au volet Open Data du projet. Mais le texte adopté en commission des lois et modifié depuis en séance publique, multiplie les voies légales de dérogations à l’ouverture des données publiques et d’intérêt général. C’est notamment le cas des normes.

Afnor exemptée d’Open Data

Malgré l’avis défavorable du gouvernement, les sénateurs ont adopté l’amendement n° 1 rectifié bis. Il complète l’article 4 bis d’une disposition indiquant : « Les documents produits dans le cadre du processus de normalisation ou en résultant ne relèvent pas des documents administratifs mentionnés à l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration ».

En conséquence, l’Association française de normalisation (Afnor) ne sera pas soumise aux obligations qui s’imposent à d’autres organisations exerçant une mission d’intérêt général confiée par l’État, en matière d’ouverture et de gratuité d’accès aux données (un principe déjà écorné par la loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public).

Pour les sénateurs centristes à l’origine de l’amendement, il s’agit « d’écarter le risque d’exclusion d’Afnor des instances de normalisation, européennes et internationales pour non-respect des exigences applicables en matière de diffusion des normes ». C’est également l’occasion pour l’organisme de maintenir l’accès payant à la majeure partie de son catalogue de normes françaises et européennes, et de documents normatifs protégés par le droit d’auteur (une reproduction de la norme est autorisée pour la seule personne physique qui l’a achetée).

Les standards ouverts, « si possible »

Autre obstacle à l’accès et à la réutilisation des données publiques : la mise à disposition « dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé » de documents communicables aux citoyens sous forme électronique (des études aux codes sources de logiciels) se fera « si possible », uniquement (articles 1er ter et 11). Et ce conformément aux voeux du rapporteur du texte au Sénat, Christophe-André Frassa. Les amendements présentés par des sénateurs de gauche pour supprimer cette mention, ont tous été rejetés.

Par ailleurs, il a été ajouté à l’article 1er ter, l’alinéa suivant : « Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6. La publication peut être refusée si ces documents n’ont pas fait l’objet de demandes de communication émanant d’un nombre significatif de personnes ». Le Conseil national du numérique (CNNum) redoute que cette possibilité accordée aux  administrations pour évaluer l’intérêt de libérer une donnée « ne serve de prétexte pour en retarder l’ouverture » (articles 1 ter et 4.4°).

Propriété intellectuelle, risque et concurrence

Le CNNum observe, par ailleurs, que l’article 7 renforce l’exception pour les administrations détenant des droits de propriété intellectuelle sur les bases de données produites dans l’exercice d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial soumise à la concurrence. Notamment à travers l’alinéa suivant : « En cas de traitement préalable de données protégées par une licence, celle-ci doit expressément interdire toute réutilisation abusive de ces données présentant un risque d’identification des personnes. Lors de son établissement, elle inclut obligatoirement une clause de suspension du droit de réutilisation ou une clause de rapatriement des jeux de données compromis ».

L’inscription dans la loi d’une étude de risque préalable « systématique » avant toute ouverture des données publiques (article 4.8°) inquiète également le Conseil. Le CNNum, observe enfin, que soumettre l’obligation d’ouverture au seul contenu des bases de données, et non pas à la structure même de la base, contraint les administrations et les délégataires de service public à « scinder les éléments de la base de données, avant de les diffuser sous une forme déstructurée et donc difficilement réutilisable par un tiers », et à en supporter la charge et les coûts. C’est un frein de plus à l’Open Data.

Les données de santé encore verrouillées

Les limites apportées par le Sénat à l’ouverture des données publiques contrarient les ambitions affichées par le gouvernement en la matière. Mais la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, a tout de même salué certains ajouts apportés aux texte par les sénateurs.

C’est notamment le cas de « l’obligation pour toute administration de mentionner, le cas échéant, l’application d’un algorithme dans le cadre d’une décision administrative individuelle ». Cette mesure vient compléter l’obligation de communiquer, sur demande d’un administré, les règles et caractéristiques d’un algorithme utilisé dans le cadre d’une décision administrative.

Les sénateurs ont également voté, avec le soutien du gouvernement, l’ouverture de données d’intérêt général concernant le secteur de l’énergie, les valeurs foncières, et les jurisprudences en matière civile et administrative.

Quant aux données de santé, elles font l’objet d’une consultation publique. Ouverte jusqu’au 20 juin, cette consultation porte sur le partage et l’exploitation de ces données « dans le respect de la vie privée, pour tout acteur porteur d’un projet d’intérêt public ». Et ce dans la foulée de la publication d’un rapport de la Cour des Comptes dénonçant le verrouillage des données de santé. Un verrouillage conforté par la loi Santé portée par la ministre Marisol Touraine, un texte adopté en décembre dernier.

Mise à jour du 29/04/2016 à 18h00 : le Conseil national du numérique indique à la rédaction se féliciter de l’adoption en séance publique cette semaine des amendements : n° 210 rectifié (qui supprime la notion de « secret des affaires » dans l’article 4), n° 213, n° 214 et n° 216 (tous en lien avec l’article 4 du PJL Numérique également), n° 335 (limitation de l’exception au SPIC dans l’article 7) et n° 526 rectifié (dans l’article 2, portant sur la communication des principales caractéristiques d’un traitement algorithmique à l’administré concerné par une décision individuelle), cf. la liste des amendements.

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