Louvois : le ministère de la Défense continue à écoper

En attendant un nouveau système attendu en 2017, la Défense est loin d’être sortie d’affaires avec son progiciel de paie Louvois. Le logiciel fou a encore versé 280 M€ en trop aux militaires sur 2013 et 2014 et nécessite toujours de coûteuses actions correctrices.

Pendant l’appel d’offres qui doit déboucher sur le nouveau Louvois (le nom du système de paie du ministère de la Défense), les errements de l’ancien Louvois continuent. Auditionné par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées fin octobre, Jean-Paul Bodin, le directeur général pour l’administration, a livré un nouveau tableau peu reluisant de la gestion de la paie au ministère de la Défense, assurée depuis octobre 2011 par le calamiteux système Louvois.

Selon le haut fonctionnaire, le logiciel, qui n’est jamais parvenu à encaisser les règles de gestion complexes propres à l’armée française, a généré 200 millions d’euros de « trop-versés » dans l’armée de terre sur 2013-2014. Dans ce corps, ce sont 118 000 dossiers qui sont en cours de régularisation. S’y ajoutent 25 millions d’euros pour 2013 et 14 millions d’euros pour 2014 de « trop-versés » dans la marine ainsi que 27 millions d’euros pour 2013 et 15 millions d’euros pour 2014 pour le service de santé des armées, premier corps à basculer dans le progiciel fou en 2011. Soit, au total, quelque 280 millions d’euros déboursés en trop par l’Etat en raison des erreurs récurrentes du progiciel de paie sur cette période. Selon Jean-Paul Bodin, la campagne de récupération de ces sommes est « en cours » (elle se poursuivra en 2015, indique-t-il plus loin), celle concernant les trop-versés entre octobre 2011 et janvier 2013 (78 millions d’euros) étant « quasiment achevée ». « Tous les mois apparaît un nouveau problème imprévu », se désespère un bon connaisseur de ce dossier, qui a requis l’anonymat.

Calendrier ? « Encore quelques interrogations »

Pour remplacer son progiciel défectueux, le ministère de la Défense a lancé un nouvel appel d’offres (Louvois 2), sous la forme d’un dialogue compétitif démarré en février dernier. Trois consortiums candidatent sur ce nouveau projet estimé à environ 75 millions d’euros : le duo Accenture et CGI (sur base SAP), l’attelage composé d’Atos et Steria (là encore sur la base du progiciel du premier éditeur européen) et, enfin, Sopra (qui se repose sur l’offre HRAccess, éditeur appartenant désormais à l’intégrateur français). Rappelons que, suite à l’échec du premier Louvois, le projet est confié à la Direction générale de l’armement (DGA). Il est conduit comme un programme d’armement. L’équipe en charge du projet Louvois 2 au sein du ministère compte à ce jour une trentaine d’équivalent temps plein. L’équipe passera à une quarantaine de personnes en 2015, selon les chiffres donnés par Jean-Paul Bodin.

Objectifs selon le directeur général de l’administration : « la présentation de prototypes en décembre 2014 (fournis par les candidats au cours du dialogue compétitif) et le premier déploiement (début de qualification du système) en décembre 2015 », suite à une notification de marché au premier semestre 2015. « Compte tenu de la complexité du projet, ces deux dates sont très ambitieuses et justifient des équipes importantes, tant du côté de l’administration que chez les industriels », plaide Jean-Paul Bodin, qui dit avoir « encore quelques interrogations » sur la tenue de ce calendrier ambitieux. Pour tout dire, il n’est pas seul à s’interroger…

Précisons toutefois que le déploiement du nouveau système ne signifiera pas le débranchement immédiat de Louvois 1. Dans son audition, le haut fonctionnaire reconnaît en effet que la « première bascule pourrait intervenir au premier semestre 2017 après une longue période de solde en double ». Autrement dit, pour sécuriser la transition, la Défense va faire tourner les deux progiciels en parallèle pendant environ un an et demi. La date planifiée de déploiement de Louvois 2 pour l’ensemble du ministère n’a pas été précisée. Elle ne devrait raisonnablement toutefois pas intervenir avant la fin 2017.

La litanie des plans d’action

Conséquence : pendant encore trois ans, le ministère va devoir continuer à « corriger les difficultés » de Louvois 1. « Nous avons consacré 5 millions d’euros à des versions correctives en 2014 pour traiter des dysfonctionnements, détaille Jean-Paul Bodin. En outre, des contrôles sont effectués manuellement par la transmission des soldes du mois N+1 en début de mois N, aux directions de personnels afin de les vérifier et de passer les corrections pour réduire au minimum le nombre des bulletins présentant une solde négative ou une solde à zéro. On utilise à cette fin les crédits dits du plan d’urgence. » Traduction : des personnels de l’armée sont mobilisés pour vérifier les soldes à la main et corriger les cas les plus problématiques. Selon une source qui a requis l’anonymat, les actions correctives sur Louvois 1 coûtent chaque mois plusieurs millions d’euros à l’Etat. S’y ajoutent le coût annuel lié à l’exploitation et au maintien en conditions opérationnelles de Louvois 1, évalué à près de 5 M€ par an, selon le ministère.

Les dysfonctionnements à répétition de Louvois ont donné naissance à de multiples plans d’actions et autres programmes correctifs. Dès septembre 2012, la Défense a débloqué des crédits notamment pour le renforcement des effectifs du centre expert RH soldes de l’armée de terre de Nancy (CERHS) et la mise en place d’un numéro vert pour aider les familles. Suite à un audit, c’est un programme complet, décliné en 12 chantiers, que lançait le ministère début 2013. Début 2014, c’est le centre de maintenance informatique de la solde qui a été renforcé. Chaque mois, « une nouvelle version du logiciel comportant un nombre conséquent de corrections et d’évolutions du calculateur » est produite, assure Jean-Yves Le Drian, le ministre, en réponse à une récente question écrite d’un sénateur. D’ici à la mise en place du calculateur, soit Louvois 2, « le ministère de la défense poursuivra les efforts entrepris afin de maintenir sous contrôle l’ensemble du système Louvois et d’accompagner les militaires et leur famille en cas de difficultés », a assuré le ministre. Sans toutefois détailler la facture totale, à date, de Louvois, un projet initialement lancé… dans les années 90.

En parallèle, rappelons encore que la Défense a entamé la fusion des 5 SIRH du ministère (Concerto pour l’armée de Terre, Rhapsodie pour la Marine, Orchestra pour l’armée de l’Air, Arhmonie pour le service de santé des armées et Alliance pour l’ensemble du personnel civil) en un seul. Une façon d’harmoniser et de faciliter l’alimentation du progiciel de paie. Ce projet, baptisé Source, lancé depuis octobre 2011 devrait coûter 57 millions d’euros d’ici à son déploiement, qui s’étalera entre 2015 et 2017.

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