Merouane Debbah (Supélec) : « La France a une occasion historique de mener la prochaine bataille des futurs standards des réseaux reconfigurables »

Vainqueur du prix Alain Glavieux 2011, Merouane Debbah travaille sur les réseaux flexibles MIMO qui permettent notamment de multiplier par dix le débit de la 4G et pourraient fleurir à partir de 2016.

Professeur à Supélec et titulaire de la Chaire d’enseignement et de recherche sur la « Radio flexible » d’Alcatel-Lucent, le chercheur Merouane Debbah a remporté, le 7 décembre, le prix Alain Glavieux 2011. Un prix prestigieux qui récompense ses recherches en théorie de l’information appliquée aux communications sans fil. Un prix visant à encourager les jeunes chercheurs puisque réservé aux scientifiques de moins de 40 ans. « Mérouane Debbah est le plus jeune professeur à avoir obtenu la direction d’une Chaire comme celle d’Alcatel-Lucent dédiée à la radio flexible qui joue un rôle essentiel dans les communications mobiles grâce à la reconfiguration des systèmes radio par logiciel, de manière dynamique », déclare Alain Bravo, directeur général de Supélec.

Chercheur de réputation internationale (plus d’une centaine d’articles publiés et trois brevets déposés), Merouane Debbah est diplômé et titulaire d’un Phd en « Electrical Engineering » de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Professeur à Supélec depuis 2007, il a collaboré auparavant, au sein des Laboratoires Motorola avant de rejoindre le Centre de Recherches en Télécommunications de Vienne où il a travaillé sur de nombreux projets européens. Il a ensuite intégré le département de Communications Mobile d’Eurecom. Pour Silicon.fr, il revient sur ses travaux et leurs applications futures.

Sur quoi portent vos travaux récompensés par le Prix Alain Glavieux 2011 ?
Mes travaux concernent le développement des réseaux MIMO (Multiple Input Multiple Output) flexibles. De manière surprenante, on peut montrer que la course au haut débit peut continuer en remplaçant la bataille du spectre (achat de plus de bande) par la bataille de l’espace (ajout d’antennes), ce qui est une opportunité unique pour développer l’économie numérique de demain. De manière plus concrète, je suis un spécialiste de la théorie de l’information, en particulier de la théorie des matrices aléatoires et de la théorie des jeux appliquées aux réseaux de télécommunications. Mes travaux sur la théorie des matrices aléatoires ont démontré les potentialités et limites des réseaux MIMO flexibles. Mes résultats démontrent que l’on peut repousser drastiquement la limite de Shannon en multiplexant de manière intelligente les données sur l’ensemble des antennes d’un réseau. Mes travaux sur la théorie des jeux ont permis de développer ces algorithmes intelligents et sont actuellement en phase de test.

Quelles en sont les applications concrètes potentielles ?
Les applications concrètes sont dans le domaine des réseaux denses sans fil reconfigurables « verts » (green small cell networks) permettant de multiplier le débit de la 4G par un facteur 10 tout en diminuant la consommation du réseau. Ces réseaux flexibles MIMO seront déployés autour de 2016 et commencent déjà à engendrer une bataille acharnée entre constructeur pour plusieurs raisons. La reconfiguration dynamique de ces réseaux permettra d’avoir des réseaux transparents et à faible coût. La puissance réduite de rayonnement électromagnétique est l’autre facteur déterminant qui attire les opérateurs avec les gains énergétiques qui en découlent.

L’obtention du prix a-t-il changé quelque chose dans votre carrière, vos recherches?
Le Prix Alain Glavieux est un prix très prestigieux qui honore une découverte exceptionnelle française dans le domaine du codage. Il est encore trop tôt pour savoir si ce prix va changer quelque chose dans ma carrière. Je suis par contre très ému par l’obtention du prix qui me met face à de nouvelles responsabilités pour continuer à promouvoir l’innovation et la recherche française dans le domaine des télécommunications face à une concurrence internationale de plus en plus accrue. De ce point de vue, il faut admettre que la France est bien placée et nous avons ici une occasion historique de mener la prochaine bataille des futurs standards. Contrairement à beaucoup de pays, nous avons l’avantage d’avoir une école de qualité formant des élèves, en sortie d’écoles d’ingénieurs, avec une forte capacité de manipuler/de traduire et de synthétiser en modèles mathématiques des concepts abstraits. Ceci est assez unique et fait la jalousie de beaucoup de nos partenaires. Ces derniers temps, la finance mondiale a jalousement accaparé le flux majoritaire de nos étudiants brillants mais il se trouve que les réseaux flexibles sont devenus une opportunité tout aussi importante pour eux d’exprimer leurs compétences. J’espère que ce prix pourra inspirer de nouvelles carrières dans ce domaine.