Mozilla : la fondation se veut résolument ‘usercentric’

« L’argent n’est qu’un outil… » Entretien avec deux gourous de la
fondation Mozilla (FireFox, Thunderbird…). Un peu décalés?

Deux ténors de l’open source et plus précisément de la Fondation Mozilla : le français Tristan Nitot et le canadien Mike Shaver -respectivement Président France et Director of Ecosystem Development- reviennent sur la philosophie de la fondation, et répondent aux questions de Silicon.fr.

L’homme en charge de l’amélioration de l’écosystème Firefox et des différents projets de la fondation Mozilla revient sur un point important et peu connu de l’organisation, sa philosophie et sa vocation pédagogique : « Je ne suis pas à Paris pour évoquer le lancement d’une nouvelle application. Je reviens d’une tournée à Munich et Tokyo où je souhaitais rencontrer les médias pour évoquer le rôle de Mozilla et expliciter notre vision de l’avenir du Web. »

« Pour résumer, je veux vous parler de ce que nous réserve la Toile, les promesses comme les menaces » prévient Mike Shaver

Alors quelles sont les promesses et les menaces qui pèsent sur le Web?

« Concernant les promesses du Web, nous espérons qu’il va garder son ouverture, que cet outil de communication va continuer de s’améliorer, et permettre une plus grande circulation de l’information, du business, de l’argent. Qu’il sera disponible dans toutes les langues et que les gens pourront utiliser les OS qu’ils souhaitent et les navigateurs qu’ils désirent… Qu’ils soient handicapés, jeunes ou vieux. Il est également important que les internautes puissent continuer à développer des applications et cela, même s’ils ne se rencontrent jamais. La puissance du Web aujourd’hui ?au-delà de l’impact économique qu’il a- réside dans son ouverture, et parce que tous les habitants de cette planète qui disposent d’un accès Internet peuvent y contribuer, s’y joindre. »

« Pour ce qui est des menaces, la principale est celle de la tentation qui pèse sur le dos des développeurs. Ces derniers un choix à faire. Ils peuvent prendre leurs futures applications, et plutôt que de les mettre en libre accès sur le Net, décider de les placer dans des boites technologiques contrôlées par une seule et unique société. Les exemples comme le JavaScript, l’HTML ou le RSS sont très parlants pour les technophiles. » Shaver, critique ici le lancement de Silverlight de Microsoft et redoute que le monopole déjà important de Redmond ne soit encore plus grand demain à cause d’outils de ce type.

« Il faut bien reconnaître que Microsoft a permis le développement de l’Internet et de l’informatique, mais c’est aussi le seul groupe à pouvoir en contrôler l’évolution. Soit l’on décide d’améliorer le Web, soit l’on décide d’améliorer son modèle économique. Ils ont pourtant une bonne technologie et leurs salariés sont très engagés dans ce qu’ils font, ce qui est bien! mais les effets de cette méthode sur le Web sont malsains. Il y a beaucoup de choses qui se déroulent plutôt mal sur le net comme l’intégration des différents logiciels, l’utilisation d’une application hors connexion, la manipulation de vidéos, etc. «  détaille Shaver.

« C’est vrai qu’il y a un effort d’intégration et de compatibilité à faire dans ce domaine, et franchement, ce n’est pas non plus de l’ingénierie aérospatiale »réagit avec humour Tristan Nitot.

D’après Shaver : « La fondation Mozilla est un organisme à but non lucratif, et elle voit le Web comme LA grande plate-forme mondiale. Dans cette perspective, elle ambitionne de fournir le meilleur des applications Web aux internautes. Et c’est pour cela par exemple que nous proposons plusieurs moteurs de recherche. L’idée n’étant pas que l’internaute se dise : « tiens c’est cool, c’est Firefox », mais plutôt de le laisser faire un choix. Nous ne souhaitons pas à notre tour nous retrouver en situation de monopole? »

Pas d’OS pour le moment

À ce sujet, la fondation précise, qu’elle n’envisage pas de sortir son propre OS libre ou une solution unique regroupant ces applications, mais qu’elle va garder sa philosophie reposant sur la création de modules et d’extensions, Shaver précise que d’autres acteur open source travaillent sur des solutions libres (Ubuntu, Mandriva) plus simples, capables de conquérir le coeur du grand public, mais qu’il s’agit d’un travail complexe qui n’est pas du ressort de Mozilla… Il ne s’agit donc plus que d’une question de temps et il ne fait aucun doute que le jour où cette solution sera disponible les géants actuels de l’informatique seront sérieusement menacés?

On le note, les questions d’interopérabilité sont primordiales pour Mozilla qui souhaite que les internautes puissent utiliser librement les applications sans avoir à « bidouiller » des solutions.

Le principal pour la fondation est la qualité de l’outil est non l’organisation ou la société qui se trouve derrière. Interrogé sur l’arrivée de Safari, l’explorateur Mac, dans l’environnement Windows, Nitot et Shaver estiment que c’est une bonne nouvelle même si Apple est surtout connu pour être le champion du marketing plutôt que celui de l’application.

Mais votre démarche est presque politique?

« Mais qui sont les politiques ? Ce sont des personnes qui travaillent ensemble dans un but commun, autour de valeurs communes… Dans la politique, nous serions la branche en charge du social, de la pédagogie… » estime Nitot.

Réagissant, Shaver poursuit, sur ce chemin : « Oui, je ne sais pas si le terme politique, est le plus en adéquation avec notre approche. Je pense que notre démarche est plus sociale que politique. Nous ne sommes ni droite ni de gauche, nous ne sommes pas plus américains qu’européens, nous ne sommes ni du sud ni du nord. Nous voulons nous assurer que les grands groupes peuvent entrer en compétition librement, que Yahoo soit à même de batailler avec Google, avec Microsoft. Mais il faut que cela se fasse d’une façon juste et équilibrée, car l’individu a également un important rôle à jouer et le Web doit beaucoup à ces anonymes qui partagent leurs travaux, leurs expériences. »

Mozilla n’a donc pas de vocation politique et les membres de l’organisation ne se perçoivent pas comme « les altermondialistes de la souris ». Pourtant leurs méthodes semblent être opposées à la vision mercantile des géants du secteur qui font souvent passer l’utilisateur au second plan.

Cela veut-il dire que la Fondation Mozilla ne va pas monétiser son audience?

La question de l’argent généré par la Fondation avait fait polémique l’an dernier, mais l’organisation a depuis clarifié son discours…

« Traditionnellement, une société travaille au profit des actionnaires. En tant qu’organisme à but non lucratif, notre succès ne se mesure pas par la taille de notre compte en banque, ou sur l’importance des profits que nous réalisons. Notre succès se mesure sur le niveau d’efficacité et de fiabilité de l’Internet. Nous nous demandons constamment si nous faisons les bons choix technologiques pour nos utilisateurs »explique Shaver.

Mais Tristan Nitot intervient pour préciser : « Pour être très honnête, oui nous monétisons notre audience, mais cela n’est pas notre objectif. C’est presque un hasard si aujourd’hui nous générons de l’argent. »

« Tout à fait » indique Shaver qui déclare « la grande différence c’est que pour nous l’argent est un outil… une ressource, comme nos logiciels, nos employés, notre marque, notre communauté. »

« Nous utilisons donc cet argent avec précaution, nous l’économisons. Car il est très important que Mozilla vive pendant encore longtemps. Imaginons que le Web s’effondre, change. Cette puissance économique nous permettrait de rebondir et de poursuivre nos activités. Cela est bien sûr difficile à faire comprendre aux autres sociétés qui travaillent généralement avec des browseurs payants. Alors, ils viennent taper à notre porte, ils nous proposent des millions de dollars pour être dans Firefox. Mais ces sociétés n’ont pas saisi que cela est mauvais pour nous, puisque si la solution n’est pas la bonne pour nos utilisateurs elle n’est pas acceptable. L’argent n’a pas d’importance s’il n’est pas utilisé pour servir l’utilisateur final. Généralement, un commercial est là pour dire oui à l’argent, mais chez nous la plupart du temps il doit dire non! »

Pour ce qui est de sa communication, Mozilla a un budget limité et souhaite poursuivre les initiatives comme SpreadFirefox ou Accessfirefox (ndlr : pour les handicapés).

L’organisation profite d’une grande popularité, notamment auprès des jeunes et elle compte aussi sur le bouche à oreille pour grignoter encore plus de parts de marché sur Internet Explorer.

Quid de la licence GPLv3?

En ce qui concerne la nouvelle licence GPLv3, Shaver pense que : » la communauté open source n’est pas encore d’accord sur ce que doit contenir la GPLv3″ et il reconnait « ne pas être très courant des avancées récentes du débat autour de cette troisième GPL. » Par contre, il précise :  » Notre logiciel peut déjà être utilisé sous la GPLv3. »

Nitot indique : « Comme vous le savez, nous sommes sous une triple licence, GPLv2.1+, MPL et LGPL. MPL pour Mozilla Public Licence et LGPL (Licence publique générale limitée), donc lorsque la GPLv3 va être finalisée nos utilisateurs pourront l’utiliser. Mais je ne pense pas que nous allons passer d’une base GPLv2.1 à une GPLv3. Il serait trop difficile de contacter tous nos contributeurs (ndlr : 2200) pour qu’ils acceptent la GPLv3. »

Et en ce qui concerne la mobilité, allez-vous continuer votre travail sur les micro-applications?

« Nous pensons que l’accès à Internet sur les mobiles est très important.. Mais nous ne sommes pas encore prêts à produire une solution étiquetée Firefox pour les terminaux mobiles et qui plus est travailler avec les opérateurs n’est pas facile, ils ont une philosophie différente de la nôtre. Par contre, nous travaillons sur un projet baptisé Project Joey. En utilisant Firefox et un Serveur Joey l’utilisateur peut transférer des données Web sur son mobile… « 

Enfin, même si Shaver n’était pas à Paris pour évoquer les applications, il a tout même indiqué que la première beta de Firefox 3.0 serait disponible d’ici la fin du mois de juillet. Avec au programme, une amélioration de la restitution des effets d’accélération et une refonte du système de gestion des signets.