Nicolas Meric, DreamQuark : « la pénétration des algorithmes dans la société va s’accélérer »

Le fondateur et CEO de la start-up du deep learning DreamQuark, Nicolas Meric, revient sur les atouts de la France en matière de Big Data en insistant sur l’apprentissage et la pédagogie des technologies et des sciences.

« Prix Nobel et médailles Fields… la science à la française ». C’est le débat auquel Nicolas Méric a participé, mercredi 31 août, lors de l’université d’été du Medef. Docteur en physique des particules, Nicolas Méric est également co-fondateur et président de DreamQuark, une start-up spécialisée dans le deep learning appliqué à la santé. Interrogé par la rédaction, il fait le point sur un paradoxe français et revient sur l’importance de la pédagogie scientifique et technologique.

Silicon.fr : La France compte de nombreux mathématiciens médaillés Fields. Mais elle ne brille pas dans le classement de Shangai dominé par les universités américaines. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Nicolas Méric : Le classement de Shangaï est un classement qui, à l’origine, visait à comparer la Chine aux autres pays en matière de recherche scientifique.

Dans ce classement, plusieurs critères sont pris en compte : le nombre de médailles Fields et de prix Nobel pondéré par un facteur en fonction de l’année d’obtention chez les professeurs, la même chose chez les anciens élèves (mais cela compte pour moitié moins), le nombre de publication dans les revues Nature et Science, le nombre de chercheurs les plus cités dans leur discipline et, enfin, le nombre de citations dans un index scientifique et un index social. On y ajoute le chiffre moyen des cinq indicateurs qui donne une idée de la qualité des professeurs.

Le nombre de médailles Fields ou de prix Nobel n’est qu’un aspect qui compte pour 20% dans ce classement. J’ajoute que dans de nombreuses disciplines ce n’est pas la norme de publier dans des revues telles que Nature et Science. Et la France est impliquée dans de nombreux grands programmes qui donnent rarement lieu à la publication d’articles dans ces revues.

On constate, par ailleurs, qu’une université telle que Pierre et Marie Curie est la cinquième université du classement pour les mathématiques. Et la France a, malgré tout, 22 universités et écoles classées dans le top 500 sur un total de 141 universités et écoles publiques françaises (soit ~15%). Les Etats-Unis, de leur côté, ont 146 « colleges » et universités dans le top 500, alors qu’ils avaient 1 700 institutions publiques de cycle supérieur en 2005 (soit environ 8,5%).

Enfin, les budgets alloués ne sont pas du tout les mêmes. Un exemple : Harvard, première université au classement de Shangaï, a un budget de 35 Mds $. Le CNRS de 3,3 Mds € et se classe 5e au classement des instituts qui font le plus avancer la science, le CEA est premier et l’INSERM 10e de ce classement… Si nous nous écartons de la vision que l’on veut nous donner, les choses n’ont plus la même apparence. Un classement ne donne qu’une partie de l’histoire, mais il faut le replacer dans son contexte. La France n’est alors plus aussi distancée qu’il n’y paraît à première vue.

La « culture mathématique » des élèves de 15 ans en France est en baisse, selon le classement Pisa. Peut-on imaginer que des formations adaptées permettent un jour aux décrocheurs de trouver un emploi dans un domaine tel que le deep learning, par exemple ?

Le système éducatif français ne convient pas à tous et la réussite n’est pas nécessairement reliée aux capacités intellectuelles des uns et des autres. Des personnes qui n’ont pas eu leur BAC peuvent très bien exceller par la suite et apporter de véritables innovations. Leurs capacités intellectuelles pèsent dans la balance, bien sûr, mais surtout leur motivation, leur volonté d’apprendre, de travailler dur et de persévérer. Autant d’atouts qui peuvent se développer en dehors du système éducatif.

Ce n’est pas que le système soit mauvais, mais dans certains cas il ne permet pas de développer un parcours d’apprentissage qui convient à telle ou telle personne. Il faut avant tout s’assurer que les bases sont maîtrisées et solides, et que le parcours d’apprentissage est adapté. Et éviter de reprendre des spécificités de systèmes éducatifs étrangers, sans en comprendre le contexte. Si les résultats sont en baisse, nous devons essayer de comprendre ce qui a changé et isoler les facteurs déterminants. Cela n’a pas nécessairement à voir avec l’enfant. Je pense donc qu’il est nécessaire de développer une multitude de parcours d’apprentissage pour enseigner aux enfants avec une méthode qui leur convient. La même méthode ne conviendra pas à tous.

Des outils numériques peuvent aider aujourd’hui. Nous devons également développer la pédagogie scientifique et technologique pour permettre très tôt aux enfants de s’intéresser à ces domaines pourvoyeurs d’emplois. Des associations telles que Paris-Montagne font un très bon travail et les Fêtes de la science sont aussi une excellente initiative à poursuivre. Les entreprises peuvent aussi avoir un rôle à jouer. Nous avons ainsi pu parler de nos technologies lors d’évènements publics avec de jeunes prodiges et avoir de vraies discussions. Le potentiel est là et doit être développé. Travailler avec des personnes qui ont réussi dans ce système et trouvé leur voie peut être un bon moyen pour le ministère de l’Education de mieux comprendre les recettes qui fonctionnent.

Chez DreamQuark, nous croyons qu’une personne ayant décroché pourrait trouver un emploi dans ce secteur, après avoir suivi une formation adaptée. Nous voulons intégrer des personnes motivées qui ont la volonté d’apprendre, de travailler dur et de persévérer. Nous en avons en contrat de professionnalisation, par exemple. Elles réussissent à nous convaincre, sans être passées par les plus grandes écoles. Quand des diplômés de grandes écoles peuvent ne pas nous convaincre.

Comment pousser un algorithme du monde académique vers une application Big data ?

Ce n’est pas aussi simple, et cela demande beaucoup de travail une fois le projet sorti du monde académique. L’algorithme en lui même n’est qu’une partie de la démarche. J’ai vu, lors de premiers développements, le potentiel du deep learning avant même que l’on ne parle de deep learning. L’apprentissage profond était encore cantonné au domaine académique, mais avec de vraies applications. J’ai alors réfléchi à des applications qui auraient le plus d’impact à court et long terme et transformeraient durablement de nombreux secteurs. La santé et l’assurance sont deux de ces secteurs.

Pour réaliser le transfert, il faut comprendre déjà ce que permet de faire l’algorithme, comprendre si les données existent et lesquelles, avec quelle application potentielle. Il faut aussi les infrastructures et la sécurité adaptées. Une fois que l’algorithme montre des performances sur un sujet, nous devons comprendre quelles en sont les spécificités et ce qui peut être répliqué. Ensuite, on saisit le problème sur lequel nous pourrions apporter une solution dont l’algorithme est un élément clé. Cela demande de développer une méthodologie, d’appréhender la nature des données et les erreurs au sein de ces données. Ainsi que les résultats obtenus par cet algorithme et ses limites, et le problème que l’on veut résoudre. Ces quatre ingrédients sont nécessaires. Le problème c’est que les acteurs sont souvent focalisés sur l’algorithme et oublient le reste… Nous avons chez DreamQuark une solide réflexion pour intégrer ces quatre ingrédients dans nos solutions. Nous y ajoutons une compréhension de l’environnement réglementaire inhérent à ces secteurs.

L’algorithme a un avantage, il permet d’automatiser ce que fait un être humain, de le faire en moins de temps et parfois mieux. Cela permet à l’humain d’être plus efficace, de s’affranchir de tâches répétitives et de se concentrer sur de nouvelles choses. Mais pour devenir une application, il faut que l’algorithme soit utilisable par cet humain, et pas uniquement par un expert, en respectant le cadre réglementaire… Nous n’en sommes qu’au début de la pénétration de l’algorithme dans la société et cela va s’accélérer, avec à la clé une vraie création d’emplois. De nouvelles solutions vont émerger dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) et il faudra des personnes pour les développer. C’est un secteur dans lequel investir. Plusieurs acteurs, dont DreamQuark et DreamUpVision (pour le dépistage de maladies de l’oeil), ont aujourd’hui réussi à très bien se positionner. Ils ont les talents pour développer ce marché en France et à l’international.

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crédit photo de Nicolas Meric © DreamQuark