Numérique : l’Europe hésite entre libre marché et régulation

La stratégie numérique de la Commission Juncker est déjà en partie dévoilée. Bruxelles veut à la fois limiter les barrières au commerce en ligne transfrontalier et mieux réguler les Gafa.

Le Financial Times a obtenu et mis en ligne une ébauche de la stratégie pour le marché unique numérique que doit officiellement présenter la Commission Junker mercredi 6 mai. Bruxelles veut se doter d’un environnement favorable à l’investissement et au développement de réseaux et services numériques, tout en régulant les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) américains.

Lever les barrières au commerce en ligne

Pour développer le commerce en ligne transfrontalier, la Commission européenne veut harmoniser les règles d’achats de contenus numériques. Il s’agit de permettre aux vendeurs de s’appuyer sur les lois de leur pays d’origine concernant la protection des consommateurs et le droit des contrats, plutôt que de s’adapter aux législations des pays des clients. Dans ce cadre, la régulation relative à la coopération en matière de protection des consommateurs devrait être révisée et une plateforme de résolution des différends proposée en 2016.

Autre point clé : la lutte contre le géoblocage « injustifié » (qui consiste à empêcher l’accès à certains sites et services web en fonction de la localisation, du lieu de résidence ou des coordonnées de carte bancaire). La Commission fera une proposition législative en ce sens mi-2016. Les poids lourds américains sont ciblés, dont Netflix. Pour Andrus Ansip (en photo), vice-président de la Commission européenne pour le marché unique numérique, l’internaute doit pouvoir accéder dans tous les pays de l’Union européenne au service en ligne acheté dans l’un des États membres.

Améliorer l’accès au contenu numérique passera aussi par une modernisation des règles en matière de copyright, notamment pour les programmes audiovisuels. Une proposition devrait être présentée à la fin de l’année 2015 pour « réduire les différences entre régimes nationaux des droits d’auteur ».

Centraliser la déclaration de TVA

Depuis le 1er janvier 2015, les prestations de services en ligne et de téléphonie sont imposables au taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en vigueur dans l’État membre où l’utilisateur est domicilié, alors qu’il s’appliquait précédemment au lieu d’établissement du prestataire. Pour réduire la complexité administrative d’un système à 28 régimes de TVA, Bruxelles fera une proposition en 2016. La Commission a pour objectif d’élargir le mécanisme de déclaration et paiement centralisé à toutes les ventes en ligne effectuées dans les États membres de l’UE et les pays tiers.

Centraliser le mécanisme de TVA n’est pas l’unique enjeu fiscal. Permettre une meilleure adéquation entre le lieu d’imposition et le lieu de réalisation des profits en est un autre. Ciblant les multinationales du numérique usant d’optimisation fiscale agressive, les Gafa inclus, la Commission préconise une harmonisation européenne qui permette de taxer les bénéfices « là où la valeur est créée ». Une solution qui, en France, a les faveurs de Bercy. Le but : éviter la création de taxes locales spécifiques (sur les recettes publicitaires, par exemple) qui se heurteraient à des barrières juridiques et freineraient l’activité économique.

Investir dans le Cloud, la data et la cybersécurité

Dans les télécoms, la Commission Junker devrait présenter l’an prochain une proposition « ambitieuse » de réforme de la régulation pour coordonner la politique du spectre des radiofréquences et sa gestion. Bruxelles veut aussi réformer la directive sur les services de média audiovisuels (SMA) et mieux étudier le rôle des plateformes (moteurs de recherche, médias sociaux, app stores, e-commerçants, comparateurs de prix…) et leur position dominante sur le marché. Le but : favoriser l’émergence de champions européens et lutter contre les contenus illégaux sur Internet.

Pour mieux sécuriser les réseaux, la Commission veut mettre en place au premier semestre 2016 un partenariat public-privé dans la cybersécurité. Par ailleurs, une fois les nouvelles règles sur la protection des données personnelles adoptées, « probablement fin 2015 », la Commission étudiera la directive sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques.

L’Europe se prononce aussi pour l’interopérabilité et l’adoption de standards dans différents secteurs (santé, transports, énergie, environnement). Dans la document dévoilé dimanche par le Financial Times, Bruxelles réaffirme enfin l’importance de la formation de talents du numérique et déclare soutenir l’investissement dans le Big Data, le Cloud et l’Internet des objets. La Commission Juncker devrait ainsi proposer en 2016 une action en faveur de la libre circulation des données et lancer une initiative européenne pour la certification de services Cloud.

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