ODF pour seul format bureautique : la France tiendra-t-elle bon ?

Le Conseil national du logiciel libre affiche son soutien à la DSI de l’Etat, critiquée pour sa volonté d’imposer le seul ODF comme format bureautique. Faisant l’impasse sur OpenXML de Microsoft. Un choix que la Grande-Bretagne a déjà assumé.

Au printemps, la DSI de l’Etat (Disic, Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication) mettait en ligne, pour appel à contributions, une nouvelle version du RGI, un document répertoriant les formats informatiques à employer dans l’administration. Ce Référentiel général d’interopérabilité, dont la v2 définitive est attendue à la rentrée, fait, pour l’heure, l’impasse sur le fichier bureautique OpenXML de Microsoft pour préconiser le seul format ODF, issu d’Open Office. Un choix qui a fait l’objet de premières critiques, émanant notamment de l’Afdel (Association française des éditeurs de logiciels), dont un des membres fondateurs n’est autre que le premier éditeur mondial.

Face à cette contre-attaque, le logiciel libre affiche son soutien à la Disic et au RGI. Selon le Conseil national du logiciel libre (CNLL), « comme pour la version précédente du RGI, on voit à présent s’agiter différentes organisations, agissant en sous-main des intérêts d’acteurs américains du logiciel propriétaire, pour tenter de rendre moins contraignante » la définition de l’interopérabilité, la notion au cœur du RGI. En l’état actuel, dans la définition de la Disic, l’interopérabilité combine la connaissance des interfaces d’un produit ou système, sa capacité à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes et l’absence de restriction d’accès ou de mise en œuvre. Objectif du CNLL : éviter l’apparition d’une définition plus lâche, ouvrant notamment la porte à des standards protégés par des brevets ou soumis à des royalties.

15 000 emplois nouveaux ?

Stéfane Fermigier
Stéfane Fermigier

« Je ne vois aucune raison d’affirmer qu’on va tuer l’informatique française simplement parce qu’on passe à ODF dans l’administration. Microsoft n’aura qu’à supporter ce format s’il veut conserver ses marchés dans les ministères. De même, contrairement à ce qu’affirment certains lobbies, donner la priorité au logiciel libre dans l’administration ne me paraît pas menacer l’édition logicielle française », glisse Stéfane Fermigier, le président du CNLL.

A l’appui de ses prises de position, le CNLL publie les résultats d’un sondage effectué auprès des membres de son réseau. Cette prise de température auprès d’une centaine de membres de la communauté Open Source (majoritairement des intégrateurs et/ou éditeurs, mais aussi des entreprises utilisatrices) montre que la quasi-totalité des sondés (98 %) pensent que le RGI aura un impact positif sur leur chiffre d’affaires. Le CNLL estime que l’ajout d’un critère d’interopérabilité, selon les termes avancés par la Disic, permettrait de créer de l’emploi et de l’activité en France. Pas moins de 1,5 milliard d’augmentation de chiffre d’affaires pour l’écosystème du libre et « 15 000 emplois locaux qui pourraient être créés en France », selon le CNLL. L’estimation paraît toutefois optimiste, l’instance tablant sur une progression de 30 % du CA des sociétés.

Grande-Bretagne : Microsoft a cédé

Concernant le format OpenXML de Microsoft, Stéfane Fermigier note d’abord qu’il « n’est pas issu d’un vrai processus de normalisation, mais davantage d’une standardisation de la façon dont Office travaille ». Par ailleurs, pour le président du CNLL, « le standard officiel n’est là que pour amuser la galerie. Dans les faits, les outils bureautiques de Microsoft créent des fichiers .docx, .xlsc ou .pptx qui ne sont pas au standard OpenXML. Ils se contentent de s’en approcher. Quand un développeur crée un fichier pleinement conforme à OpenXML, il n’est pas compatible avec Office ! On passe donc totalement à côté de l’enjeu d’interopérabilité ».

Notons que, suite à une longue bataille avec le gouvernement britannique qui a affiché une détermination sans faille à imposer ODF pour l’ensemble de son administration, Microsoft a fini par céder. En mars, l’éditeur a confirmé qu’il supporterait ODF dans la prochaine version d’Office 365.

« Le CNLL invite la Disic à ne pas céder aux pressions des lobbies et à maintenir la définition de l’interopérabilité telle qu’elle est rédigée dans la version soumise à commentaires, et les autorités politiques à soutenir la décision de la Disic dans ce domaine », indique encore l’organisation représentant plus de 300 entreprises spécialisées.

Priorité au libre : l’autre sujet qui fâche

Rappelons que la première version du RGI était née dans la douleur, après un véritable psychodrame. En 2009, l’Etat publiait son Référentiel Général d’Interopérabilité, après une lutte épique qui avait vu s’opposer les tenants du logiciel libre dans l’administration et Microsoft. A force de lobbying, le premier éditeur mondial était parvenu à inclure son OpenXML dans la liste des formats bureautiques référencés, aux côtés de l’ODF d’OpenOffice… Après une guérilla de 4 ans au cours desquels Microsoft était parvenu à faire normaliser un format en urgence par l’ISO et à repousser la publication du RGI pour que ce format y figure.

Une autre initiative récente de l’administration française a également cristallisé les débats entre tenants de l’Open Source et défenseurs des éditeurs de logiciels traditionnels. Il y a quelques jours, le rapport Ambition Numérique du Conseil national du numérique (CNNum) préconisait d’accorder une « priorité » au logiciel libre dans l’administration, provoquant une levée de boucliers de la part de l’Afdel et du Syntec Numérique notamment. Ces organisations professionnelles représentant les éditeurs de logiciels ne font pas mystère de leur volonté de porter ces débats à l’étage politique, afin d’éviter toute doctrine accordant une priorité à l’Open Source dans l’administration.

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