Open Source dans l’administration : le CCNum rallume l’incendie

Dans son rapport Ambition Numérique, le Conseil national du numérique préconise de donner la priorité au logiciel libre dans l’administration. Syntec Numérique et Afdel sont vent debout contre une proposition qui, à leurs yeux, sent un peu la naphtaline.

Mises à jour le 19/06, à 18h15 (précisions sur une citation de Jamal Labed) et le 26/06 (voir commentaires)

Les organisations représentant les éditeurs de logiciels ont accueilli froidement certains passages du rapport du Conseil National du Numérique. Dans ce document fleuve de 400 pages, baptisé Ambition Numérique et remis aujourd’hui au Premier ministre Manuel Valls, l’organisme préconise d’utiliser « le levier de la commande publique pour mettre en avant des exigences d’interopérabilité, de standards ouverts et d’accès au code source ». Bref de donner, au sein du secteur public, « la priorité aux solutions libres et Open Source ».

Plus loin, le CNNum formule une autre proposition, qui, elle aussi, a tout pour faire bondir les éditeurs dits propriétaires. Le rapport préconise en effet de « renforcer le droit pour les développeurs d’effectuer la rétro-ingénierie d’un logiciel existant afin de pouvoir créer un logiciel capable de s’interopérer, et prévenir plus efficacement les abus de position dominante liés au secret des formats de données et des protocoles d’échange d’informations ». Autrement dit, le CNNum demande un accès au code source des logiciels propriétaires, « ce qui est exclu par le code de la propriété intellectuelle à ce jour, sauf exception de sécurité », selon l’Afdel (Association française des éditeurs de logiciels).

Jamal Labed
Jamal Labed

Jamal Labed, le président de cette association née en 2005 précisément en plein débat sur une éventuelle préférence accordée à l’Open Source dans l’administration, se dit « atterré » de ces recommandations du CNNum. « En France, il y a 3 000 éditeurs de logiciels (la plupart d’entre eux diffusent des logiciels propriétaires, NDLR). Pourquoi n’auraient-ils pas droit d’accéder à la commande publique ? C’est l’inverse qu’il faudrait faire : utiliser les achats de l’Etat comme tremplin pour les PME ». Et de remettre en cause la forme choisie par le Conseil national pour élaborer son rapport. « Opter pour une consultation large, c’est très bien. Mais pourquoi, au sein de celle-ci, mettre sur le même plan la contribution d’une organisation professionnelle travaillant depuis 10 ans sur ces sujets et celles de simples citoyens ou d’intellectuels autoproclamés du numérique ? » Ambiance… Et de s’interroger sur la représentativité du Conseil national du numérique, censé éclairer les choix du gouvernement sur le sujet. « Dans ce contexte, on ne peut qu’être inquiet concernant l’élaboration du futur projet de loi sur le numérique », ajoute Jamal Labed. Rappelons que Ambition Numérique doit servir de source d’inspiration pour ce texte que prépare Axelle Lemaire. Le projet de loi devrait être en ligne cet été, pour le soumettre là encore à une large consultation sur Internet, avant son examen au Parlement prévu cet automne.

« Inadmissible » dit Syntec Numérique

Guy Mamou-Mani_
Guy Mamou-Mani

Guy Mamou-Mani, le président du Syntec Numérique, le syndicat patronal des ESN (nouvelle dénomination des SSII) et des éditeurs, avoue lui aussi sa « surprise » de voir le sujet d’une préférence accordée au logiciel libre redevenir un sujet d’actualité. « Pour nous, ce débat était réglé, soupire-t-il. Nous ne comprenons pas les recommandations du Conseil national du numérique et de la Disic ». Une allusion notamment au RGI, le référentiel général d’interopérabilité, un chantier que pilote la DSI de l’Etat. Dans sa nouvelle version, ce document qui préconise les formats à utiliser dans l’administration fait l’impasse sur ceux de Microsoft. Créant une nouvelle polémique… comme cela avait déjà été le cas au milieu des années 2000 avec la première version du RGI.

« Le Syntec Numérique est pour une position de neutralité stricte. Nous accueillons bien sûr un comité Open Source en notre sein. Mais, pour l’intérêt général et en particulier pour les nombreuses PME qui écrivent des logiciels propriétaires, il est inadmissible d’accorder une quelconque priorité à tel ou tel modèle », ajoute Guy Mamou-Mani. Qui note que de nombreuses petites sociétés françaises gravitent dans l’écosystème Microsoft ou Oracle, deux éditeurs particulièrement ciblés par ces recommandations pro-Open Source.

Exclure le logiciel propriétaire ?

Ce n’est pas la première fois que les organisations représentant les éditeurs s’inquiètent du virage que serait en train de prendre l’administration française. L’Afdel était déjà monté au créneau il y a quelques jours pour dénoncer l’absence d’OpenXML, le format ISO de Microsoft, au sein du RGI nouvelle version. « Le sujet des formats bureautiques a été tranché en 2009, à l’issue d’une guerre ouverte entre les partisans d’un format unique et ceux qui défendaient des formats interopérables et ouverts. Cette nouvelle consultation, d’après les échos que nous avons eus, ne vise qu’à exclure le logiciel propriétaire de l’administration », expliquait alors Loïc Rivière, le délégué général de l’Afdel, dans nos colonnes.

Jacques Marzin, le directeur de la Disic, ne fait pas mystère de sa volonté d’étendre les usages du logiciel libre au sein de l’administration (lire la tribune qu’il a publiée à ce sujet sur Silicon.fr). Pour la Disic, le logiciel libre fait partie des leviers à sa disposition pour réduire les coûts de l’informatique dans les ministères. Rappelons que le Premier ministre, Manuel Valls, a fixé pour objectif de réduire le budget IT de l’Etat de 500 à 800 millions d’euros en 3 à 5 ans.

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