Orange Sport : perte d'exclusivité confirmée

L’opérateur ne pourra pas lier ses offres ADSL à ses offres de contenus. Une remise à cause à 100% de sa stratégie. La vente de l’offre est suspendue

Orange y a cru jusqu’au bout mais perd finalement la bataille. Ce mardi, le cour d’appel de Paris confirme le jugement de février du tribunal de Commerce en rejetant la demande d’Orange de lever l’interdiction qui lui avait été faite de subordonner l’abonnement à Orange Sport à une souscription triple play. Orange ne pourra plus associer obligatoirement ses offres ADSL au bouquet de contenus Orange Sport et notamment les matchs de football du samedi soir de la Ligue 1.

Selon Les Echos, la première chambre de la cour d’appel a expliqué que l’exécution provisoire « n’implique pas l’arrêt de la diffusion de la chaîne auprès de ses anciens clients, ainsi que l’admettent Free et Neuf Cegetel, ni la modification immédiate des conditions techniques actuelles de diffusion dans l’attente de l’arrêt à intervenir sur le fond ». Elle estime que « France Télécom ne démontre pas que la poursuite de l’exécution provisoire se heurte à une impossibilité technique« .
Les magistrats estiment également que France Télécom ne prouve pas en quoi l’exécution provisoire « conduirait à la ruine de son image, à des conséquences disproportionnées (…) ou irréparables alors même qu’elle indique (…) avoir eu jusqu’à présent de l’ordre de 4.600 nouveaux clients par mois, ce qu’elle qualifie elle-même de « dérisoire », et qu’en cas d’infirmation du jugement elle pourra reprendre la commercialisation selon les modalités antérieures« .

Après la perte de l’exclusivité de l’iPhone, cette nouvelle décision met à mal la nouvelle stratégie de l’opérateur basée sur l’exclusivité. Même si cette décision ne remet pas en cause le caractère exclusif de certains contenus, elle interdit la vente liée abonnements + contenus, le nouveau modèle de l’opérateur pour gagner des parts de marché et compenser le recul des activités fixes.

Rappelons que c’est Free et Neuf Cegetel qui avaient saisi la justice. Pour les juges du tribunal de commerce, non seulement offre ADSL et contenus peuvent être vendus séparément mais en plus, cette stratégie d’exclusivité constitue une concurrence déloyale car « cette vente subordonnée permet à FT (France Télécom) d’acquérir une clientèle qu’elle détourne de ses concurrents« .

Didier Lombard, patron d’Orange avait déjà prévenu : la confirmation de la décision remettrait en cause toute la chaîne de valeur du secteur. « Si l’exclusivité disparaissait, c’est un modèle qui explose, pour les créateurs de contenus, du football et du cinéma que nous contribuons à financer mais aussi pour nos concurrents.Car, à partir du moment où une décision s’applique, elle s’applique à tout le monde. Au-delà de la polémique, l’exclusivité est un élément clef pour rentabiliser l’investissement dans l’innovation. Ce carburant de l’innovation est indispensable ».

Pour Xavier Couture, directeur des contenus chez Orange, « Les premiers à souffrir d’une décision [négative de la cour d’appel] seraient les ayants droit« , lesquels s’éloigneraient irrémédiablement d’une confortable source de revenus. Pire, la mise à mort de l’exclusivité « pourrait bouleverser l’ensemble du paysage audiovisuel », poursuit Raoul Roverato, directeur économique chargé des nouvelles activités de croissance chez Orange.

Pour autant, c’est bien France Télécom qui s’est engagé le plus dans cette stratégie.Le groupe a ainsi dépensé plus de 200 millions d’euros pour obtenir trois lots des droits audiovisuels de la Ligue 1, un investissement qui passe aujourd’hui dans la case pertes et profits.

En effet, la confirmation de la décision oblige désormais Orange à proposer ses contenus à la concurrence.

Que va faire Orange ? Depuis la première décision du tribunal de commerce, Orange avait décidé de suspendre la vente d’Orange Sport en attendant le verdict de la cour d’appel. L’opérateur avait prévenu qu’en cas de décision défavorable, il pourrait maintenir cette suspension et donc se contenter des 300.000 abonnéspayants pour ses chaînes Orange Cinéma Séries et Orange Sport(vu les investissements, cela fait cher l’abonné)… Une décision confirmée ce mardi. Néanmoins, les programmes continueront à être diffusés pour les abonnés ayant souscrit à l’offre.

Cette suspension se poursuivra jusqu’à une décision sur le fond du dossier. Mais cette procédure pourra s’avérer très (trop) longue pour Orange… Une décision pourrait être rendue en juin.

Une autre solution serait à l’étude : s’entendre avec un partenaire. « L’exclusivité pourra être apportée avec d’autres partenaires. En ce moment, nous discutons avec TF1″, glisse Xavier Couture. En tout état de cause, Orange devra décider et vite s’il veut préserver sa stratégie basée sur les contenus, d’autant plus que cette dernière est également examinée par l’Autorité de la concurrence, saisie par le gouvernement.

Un feuilleton qui dure depuis un an En 2008, Orange débourse 203 millions d’euros pour obtenir trois lots des droits audiovisuels de la Ligue 1, dont le sacro-saint match du samedi soir pour les saisons 2008-2012. Objectif : proposer ce match dans le nouveau bouquet TV de l’opérateur, un bouquet composé de contenus exclusifs issus du sport et du cinéma. Une entrée en force dans le domaine audiovisuel avec un seul ennemi : Canal+.Très vite, Vivendi, qui contrôle Canal+ et SFR (et donc Neuf), dénonce des contenus exclusifs uniquement visibles par les abonnés Orange. Car pour accéder à ces contenus, il faut être abonné à une offre ADSL triple play ou satellite de l’opérateur, ce qui s’apparente à de la vente liée.« Les pouvoirs publics devraient intervenir. Cela signifierait qu’il faudra changer d’opérateur ADSL ou mobile pour accéder à certains contenus(comme le football, NDLR)« , tonnait il y a quelques mois, Jean-Bernard Lévy, patron du groupe, ajoutant que SFR, la filiale mobile de Vivendi qui contrôle Neuf Cegetel, a demandé à avoir accès aux chaînes d’Orange. Comme Free.L’affaire prend vite des proportions importantes. Outre la plainte auprès du tribunal de Commerce, les concurrents d’Orange saisissent le Conseil de la concurrence, tout comme le gouvernement qui entend « réexaminer, dans un contexte en profonde mutation, l’impact des droits exclusifs de diffusion télévisuelle et de distribution exclusive des chaînes et services payants ».« Le Conseil pourra également déterminer si et, le cas échéant, sous quelles conditions ces exclusivités peuvent induire des effets anti-concurrentiels, notamment dans le cas où elles conduiraient à renforcer la position d’un opérateur internet dominant ».« La vente liée de services télécoms et audiovisuels ne doit pas pouvoir être mise en œuvre par un acteur en position dominante, qui bénéficie d’une rente de situation monopolistique sur le marché du téléphone fixe »,explique de son côté Bertrand Meheut, p-dg de Canal+.Pour Didier Lombard, p-dg de l’opérateur,  » les contenus constituent l’oxygène [des] réseaux« . Les programmes proposés par les fournisseurs d’accès conditionnent désormais le choix d’un opérateur. Un argument qui n’a pas convaincu les juges.