P2P: un internaute français est poursuivi pour contrefaçon

L’industrie du disque veut faire un exemple. Des associations de consommateurs et d’artistes appellent à la solidarité

Il fallait bien s’y attendre. Après avoir multiplié les menaces et les campagnes de communication, l’industrie du disque française tient son premier « pirate ». Il s’agit d’un jeune homme de 28 ans accusé d’avoir téléchargé illégalement des fichiers sur différents sites de peer-to-peer (Kazaa, eMule…). Des premières plaintes ont bien été déposées l’été dernier mais ce dossier est le premier à passer au tribunal.

La police a débarqué chez lui le 18 août dernier à 6 heures du matin et a saisi son matériel informatique et des CD gravés. L’internaute est poursuivi pour contrefaçon et risque jusqu’à 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende. La plainte a été déposée par la SCPP (Société Civile des Producteurs Phonographiques). Le procès aura lieu en décembre. Une véritable action pour l’exemple: le jeune homme n’est pas un trafiquant, il ne vend pas de musique illégale. Il se contente, comme des millions d’Internautes, d’utiliser des outils: haut débit, graveurs, réseaux d’échange, qui sont mis à sa disposition pour un usage personnel. Tout cela ressemble à une loterie assez dérangeante. Le couperet est tombé sur cet utilisateur, un peu au hasard. Mais l’histoire illustre la stratégie du tout répressif employée par les maisons de disque qui veulent que le « peer-to-peer » soit la source de tous leurs malheurs. Surtout, cette mise en examen intervient sans avertissement préalable. Or, la charte de bonne conduite signée entre les Majors, le gouvernement et les FAI prévoit d’avertir l’abonné féru de P2P avant toute action judiciare. Cette arrestation ne laisse personne indifférent. Dans un communiqué commun des associations de consommateurs comme l’UFC Que Choisir ou des associations d’artistes comme le Spedidam ou l’Adami, dénoncent cette tactique et appellent à la « solidarité ». « La SCPP (Société Civile des Producteurs Phonographiques) est à l’origine de cette expédition punitive d’un autre âge. Au nom des majors de l’industrie du disque elle a décidé de punir pour l’exemple, quelques centaines de consommateurs, ceux-là même qui achètent leurs disques. Ces actions brutales et disproportionnées ne sont pas acceptables. Elles ne s’accompagnent d’aucune proposition qui permettrait, en contrepartie du paiement d’une rémunération aux artistes interprètes, aux auteurs, mais aussi aux producteurs, d’inscrire les échanges de fichiers musicaux sur Internet entre consommateurs dans un cadre légal, offrant à ces derniers la possibilité de bénéficier du progrès technique. Nous demandons aux consommateurs de nous tenir informé (info@alliancepublicartiste.org) si, comme Monsieur B., ils font l’objet de poursuites pour avoir échangé des fichiers musicaux sur Internet, en dehors de toute activité commerciale. Ces témoignages nous permettront d’intervenir dans un débat déterminant pour l’avenir de la circulation de la musique et le respect de la diversité culturelle ». La méthode brutale divise donc même les artistes. Ces associations répètent depuis de longs mois que le P2P n’est pas la cause unique de la baisse des ventes de disque en France. Et soulignent qu’il existe des solutions alternatives comme la licence légale, une taxe payée à partir des abonnements Internet. Des politiques sont également montés au créneau: Christian Paul, député socialiste de la Nièvre a en effet souligné qu’il « y a mieux à faire qu’entreprendre une stérile et infantile croisade » contre ce mode d’accès à la musique de millions d’internautes. Et de poursuivre: « Il est grand temps que notre pays s’oriente vers la légalisation des échanges de fichiers de pairs à pairs (P2P) non lucratifs, dans des conditions à fixer par la loi pour préserver une juste rémunération des artistes ». L’ancien ministre demande un « moratoire sur les poursuites engagées ou annoncées contre les internautes ». Le Conseil économique et social estime de son côté que la répression systématique des internautes téléchargeurs est une vision « à court terme » Mais ce n’est pas l’avis des Majors qui souhaitent voir se multiplier ses actions hasardeuses mais qui marquent les esprits. Au lieu de se concentrer sur les vraies raisons de la crise. La répression, ça marche?

Les Etats-Unis ont été les premiers à attaquer le P2P. D’abord contre les éditeurs de ces plate-formes d’échange. En vain. A plusieurs reprises la justice a débouté l’Industrie en démontrant que ces sites n’étaient pas illégaux car ils permettant l’échange légal de fichiers. En clair, on ne peut pas condamner les éditeurs pour l’usage qui est fait de leurs plates-formes.

Très vite, les Majors ont changé leur fusil d’épaule pour s’attaquer directement aux internautes. La RIAA, l’association des maisons de disque US, a multiplié les procédures. On en dénombre au moins 3.000. Dans la plupart des cas, les dossiers se règlent à l’amiable avec le versement d’une amende. Résultat, les ventes de CD sont en effet reparties depuis le début 2004. Mais il faut savoir que les prix de certains disques ont baissé. Dans le même temps, la fréquentation du P2P n’a jamais été aussi forte: on compte des millions d’utilisateurs supplémentaires qui « butinent » désormais sur des plates-formes plus discrètes. « Un des grands mythes mis en avant par l’industrie du disque est que la bataille contre l’échange de fichiers est en train d’être gagnée… c’est tout simplement faux », a commenté Andrew Parker, co-fondateur de CacheLogic. « C’est uniquement une question de déplacement. Les utilisateurs se contentent d’utiliser de nouveaux réseaux » comme BitTorrent ou encore eMule, a-t-il ajouté. Si on y ajoute l’accélération des débits et des formats de compression toujours plus performants, on comprend pourquoi le P2P séduit toujours autant les internautes. CacheLogic, qui fournit des filtres à de nombreux fournisseurs d’accès à internet, a établi ces statistiques à partir de l’étude du trafic quotidien sur les réseaux de ses clients.