Patrice Bertrand (CNLL) : « Il existe des combats propres aux acteurs de l’open source, tout n’est pas consensuel »

Le président du Conseil national du logiciel libre (CNLL) Patrice Bertrand expose sa vision des premiers États Généraux de l’Open Source organisés à Bercy en janvier 2013.

Président du Conseil national du logiciel libre (CNLL), cofondateur et directeur général de Smile, Patrice Bertrand revient sur les premiers États Généraux de l’Open Source.

C’est l’occasion pour le CNLL de réagir au point de vue d’Alexandre Zapolsky (Linagora, Syntec Numérique) publié le mois dernier dans nos colonnes.

Silicon.fr – Quel est votre sentiment sur les États Généraux de l’Open Source du 21 janvier 2013 ?

Patrice Bertrand – J’ai apprécié les intervenants étrangers présentant les avancées de l’open source dans les politiques publiques de leurs pays. De ce point de vue, les États Généraux ont quelques ressemblances avec l’Open World Forum (NDLR : que préside P. Bertrand). Cet évènement lancé en 2008 se tient désormais chaque année en octobre à Paris et réunit un peu plus de 2000 participants.

Revenons sur les États Généraux : ses tables rondes ont aussi réuni des participants fort intéressants, qui portaient des points de vue variés sur l’open source. J’ai pour ma part présenté, au nom du CNLL, un « Panorama de l’open source en France », qui s’appuie en bonne partie sur une étude que nous avons menée auprès des entreprises de la filière.

C’était l’occasion de mieux faire connaître ces quelques centaines d’entreprises, de petite taille majoritairement. On estime qu’environ 160 d’entre elles ont moins de 5 employés, que 125 ont entre 5 et 60 employés et une quinzaine compte plus de 60 employés. Et elles se portent bien, puisqu’une majorité s’attend à une solide croissance en 2013.

Plus largement, je dirai que toutes les manifestations réunissant des professionnels du logiciel libre sont bienvenues et que les États Généraux étaient réussis. Toutefois, nous avons regretté que le message principal porté à cette occasion soit : « il faut restructurer la filière de l’open source ». C’est totalement incongru, déplacé même, et les présidents des 11 associations d’entreprises* qui forment le CNLL s’y sont opposés.

Fleur Pellerin demande en réalité à tous les acteurs du numérique, et non pas à la filière open source en particulier, de porter ensemble les positions qu’ils partagent. La ministre a adressé un message semblable à d’autres filières. L’idée, telle que nous la comprenons, n’est pas d’avoir « une seule tête, une seule voix, un seul message » pour toute une filière, mais d’identifier les positions communes, les idées partagées et de les présenter comme telles aux pouvoirs publics.

Effectivement, l’essor du numérique, et plus particulièrement des industries de nouvelles technologies, fait partie des préoccupations du CNLL. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il existe aussi des convictions et des combats qui sont propres aux acteurs de l’open source. Tout n’est pas consensuel : sur certains des sujets qui nous tiennent à cœur, par exemple les brevets logiciels, il est probable que d’autres acteurs du numérique militent dans un sens opposé au nôtre. Dans ce cas, parler d’une seule voix est illusoire.

Pour autant, la notion de fédération du numérique évoquée parfois, un ensemble qui réunirait Syntec Numérique, Afdel, d’autres associations et peut-être le CNLL comme représentant de cette filière open source, peut avoir du sens s’il s’agit d’identifier le dénominateur commun de nos attentes, et d’y travailler ensemble. Mais sur les valeurs qui sont propres au logiciel libre et open source, nous seuls pourrons porter la voix des entreprises de la filière, qui pour beaucoup ne sont pas membres d’autres organisations et n’ont pas d’autre porte-parole.

Alexandre Zapolsky, PDG de Linagora et partenaire de l’évènement, a proposé différentes pistes d’action possibles, dont la création d’une fédération nationale du logiciel libre. Qu’en pensez-vous ?

J’insiste : créer une nouvelle entité n’a guère de sens, alors que le travail est fait depuis 3 ans déjà. Il faut comprendre que les entreprises du logiciel libre et open source se sont donné du mal, depuis 10 ans, pour s’organiser, se structurer et se donner une représentation nationale.

Comme je le soulignais dans ma présentation du « Panorama de l’open source en France », les premières grandes associations d’entreprises ont vu le jour en 2003 au niveau régional. Aujourd’hui, il en existe dans presque toutes les régions de France. Et en parallèle, depuis 2007, certains pôles de compétitivité ont vu naître des groupes thématiques consacrés au logiciel libre.

En 2010, ces grandes associations et ces groupes thématiques se sont réunis pour former le CNLL, précisément pour disposer d’une instance fédératrice, à la fois pour animer les échanges entre associations, pour porter leur parole au niveau national et pour donner un interlocuteur aux pouvoirs publics.

Au travers de ces associations, le CNLL représente environ 300 entreprises, qui constituent la filière open source en France, un grand nombre de petites entreprises, mais aussi les plus grandes d’entre elles. C’est pourquoi cette idée de nouvelle fédération nous semble tout à fait hors sujet : la fédération existe, elle s’appelle CNLL.

Certains se plaisent à décrire un paysage associatif fragmenté. J’ignore quelle est l’arrière-pensée, mais c’est un tableau profondément erroné. Il y a des associations nombreuses, bien sûr, mais elles ont des vocations différentes et travaillent très bien ensemble. Certaines mettent un accent sur les enjeux citoyens, d’autres ont une mission plus précise. Pour ce qui est de représenter les entreprises de la filière open source au niveau national, le CNLL est là.

Sur quelles autres thématiques évoquées lors des EG s’engage le Conseil national du logiciel libre (CNLL) ?

En octobre dernier, à l’occasion de l’Open World Forum, nous avons remis à Fleur Pellerin un dossier qui détaille 10 propositions pour une politique industrielle du logiciel libre.

Elles concernent : l’exigence de standards vraiment ouverts, en particulier dans la commande publique, la préférence au logiciel libre dans les administrations, l’opposition aux brevets logiciels, la neutralité du Net. Elles couvrent également : les dispositifs d’aide aux jeunes entreprises et à l’innovation, le logiciel libre dans l’éducation et le mécénat d’entreprise.

Le CNLL s’est également beaucoup engagé sur les sujets d’éducation, d’une part, de formation et d’emploi, d’autre part. Je peux citer, par exemple, la charte libre emploi qui permet à nos entreprises de faire valoir leur spécificité et leur engagement comme un atout dans leur recrutement.

Le financement du logiciel libre est un sujet très important également, à la fois pour le logiciel libre de la sphère marchande et celui de la sphère non-marchande.

Le logiciel libre de la sphère non-marchande, de fondations et de communautés, est basé sur un modèle de mutualisation de R&D. Nous voulons qu’il soit plus vivace en France et que les entreprises soient encouragées à y contribuer, voire à faire naître de nouveaux produits. Et nous militons depuis 2010 pour un statut spécifique de fondation consacrée au logiciel libre, dont le caractère d’utilité publique soit manifeste.

Le logiciel libre de la sphère marchande inclut celui des éditeurs open source venant compléter le patrimoine issu de fondations. Il n’y a pas lieu d’opposer ces deux sphères, qui sont au contraire interdépendantes. On sait bien que, dans leur grande majorité, les développeurs de logiciels libres sont salariés d’entreprises, et c’est une évidence que les modèles économiques sous-jacents doivent être pérennes.

*Alliance Libre, CapLibre, Collibri – Cap Digital, GTLL – System@tic, Libertis, OSS@TV, PLOSS, PLOSS-RA, Pôle Nord et ProLibre.


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