Faut-il avoir peur du grand méchant Linky ?

Le front-anti Linky tente de mobiliser, en axant notamment ses critiques sur les risques pour la santé. A ce jour, plus de 250 communes se sont prononcées contre l’installation du compteur communicant.

Mise à jour le 19/9 à 17h.

Selon les derniers chiffres agrégés par le front des anti-Linky, 254 communes françaises, parmi lesquelles Caen, Biarritz, Douarnenez ou Melun, se sont prononcées contre le déploiement des compteurs communicant d’Enedis, l’ex-ERdF. C’est évidemment peu, au regard des 36 000 communes que compte l’Hexagone. Mais, compte tenu du déploiement encore largement embryonnaire de Linky (voir la carte officielle), l’alerte ne peut être ignorée par le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité. « Ce sont des communes qui bravent et maintiennent leur délibération anti-Linky, malgré les pressions qu’elles subissent, notamment des préfets », assure Annie Lobé, l’animatrice du front anti-Linky qui se définit comme journaliste scientifique.

La légalité de ces refus reste discutée, si on se fie à une étude juridique réalisée pour le compte de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Et ce, même si les compteurs ne sont pas la propriété des particuliers, mais bien celle des collectivités locales qui les concèdent à ERdF/Enedis. Il n’en reste pas moins que voir des élus municipaux entraver le déploiement fait peser une menace sur le calendrier ambitieux du distributeur, qui prévoit d’achever l’installation des 35 millions de compteurs d’ici à 2021.

Emplois de proximité supprimés

Organisée à Montreuil le 8 septembre dernier, une réunion du front anti-Linky a permis de mesurer l’avancée de cette mobilisation et les motivations des élus refusant l’installation du compteur. Première surprise : aucun maire n’est présent pour expliquer les raisons de son opposition à une salle où 250 à 300 personnes sont réunies. Pour Raymond Besco, un élu de Magny-les-Hameaux (78), présent lors de cette manifestation, l’installation de Linky pose au moins trois problèmes distincts. « D’abord on peut se demander pourquoi il faut remplacer un compteur qui fonctionne par un compteur qu’on sait déjà obsolète et qui est programmé pour l’être, dit-il. Ensuite, installer Linky signifie qu’on n’effectuera plus de relevés. Ce sont encore des emplois de proximité qui sont supprimés. S’y ajoute l’intrusion dans la vie privée. »

Mais, pour les autres élus présents, ce sont plutôt les questions de santé publique qui dominent. C’est par exemple le cas à Yerres, une commune de l’Essonne (91), dirigée par Nicolas Dupont-Aignan, seule personnalité publique de premier plan impliquée dans le débat. Dans cette commune – la 1ère de plus de 30 000 habitants à avoir pris une délibération anti-Linky –, la décision a été motivée par un travail associatif sur les radio-fréquences. Rappelons que le système Linky utilise le CPL (courant porteur en ligne, à 75 kHz) pour les échanges entre le compteur et le concentrateur. « Or les CPL sont des radio-fréquences donc rayonnent », rappelle l’Association des Riverains du Rond-Point de Yerres. Selon cette dernière, qui a également combattu l’installation d’antennes pour la téléphonie mobile, les connaissances sur l’impact des radiofréquences – et donc la réglementation – sont encore en train d’évoluer, et certaines mesures en laboratoire, effectuées par l’ANFR (l’Agence nationale des fréquences) pour évaluer l’impact de Linky sur la santé, dépassent déjà le seuil de 0,6 V/m  fixé par la résolution 1815 du conseil de l’Europe (datant de 2011).

Les résultats officiels contestés ?

En mai dernier, l’ANFR publiait en effet un rapport sur les niveaux des champs électromagnétiques créés par Linky.  Un rapport qui tendait pourtant à montrer que les compteurs communicants émettaient moins que leurs prédécesseurs et que l’impact des CPL sur les niveaux d’émission était très faible. Ce dernier serait de l’ordre de 0,1 V/m à 20 cm de l’appareil. Et deviendrait indétectable à partir d’une distance de 30 cm.

anfr-linkyMais ces mesures en laboratoire sont contestées car, selon Annie Lobé, elles ne tiennent pas compte de la diversité des installations électriques dans les foyers, facteur qui amplifierait le niveau d’émission d’ondes électromagnétiques avec l’utilisation du CPL. A la tribune, lors de la réunion à Montreuil, ont été évoquées de futures mesures contradictoires, réalisées par un collectif de Brive (Corrèze) sur un site réel. Mais aucune date de publication des résultats en question n’a été précisée.

Big Data, le big problème ?

Enfin, comme le racontait récemment la Voix du Nord, l’installation de Linky semble entraîner des dysfonctionnements avec certains appareils. Nos confrères parlent ainsi de lampes s’allumant et s’éteignant seules ou encore de systèmes domotiques perdant les pédales. Lors de la phase d’expérimentation, Enedis a également reconnu huit incendies qui se sont déclarés après la pose du compteur communicant. Mais, selon la société, ces incidents – peu nombreux si on les compare aux 300 000 Linky posés – ne seraient pas liés directement au compteur, mais à des câbles mal serrés lors de la pose.

Pour André Reinald, un ingénieur logiciel de Mozilla lui aussi présent lors de la soirée organisée à Montreuil, toutes ces questions ne sont toutefois que des « effets de bord » appelés à s’estomper avec le temps. « Ce qui ne va jamais disparaître, c’est le but même de Linky qui est de collecter des données », explique-t-il, exposant ses craintes pour la vie privée des citoyens. Pour l’heure, l’usage des données créées par Linky est strictement encadré, la Cnil ayant posé le principe du consentement explicite de l’usager. « Les données de consommation appartiennent aux clients ; on ne peut rien faire sans son consentement, qui doit être formellement tracé », résumait en mars dernier Jean-Lorain Genty, un membre de l’équipe nationale sur le programme Linky. Mais les opposants craignent des évolutions successives, faisant tomber ces garde-fous.

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Crédit photo : ERDF