Plan France THD : le Sénat craint une nouvelle fracture numérique

déployer la fibre optique en France

Un rapport de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat préconise de renforcer les interventions de l’Etat dans le plan France THD pour éviter une nouvelle fracture numérique.

Deux ans après le lancement du plan France très haut débit (THD) qui entend apporter le très haut débit à l’ensemble de la population française d’ici 2022, dont 80% en technologie FTTH (fibre à domicile), le Sénat s’est penché sur les avancées des travaux en cours. Rappelons que ce plan comprend la couverture des zones denses et moyennement denses (soit 57% des foyers) par les opérateurs et que les collectivités se chargent, à partir de réseaux d’initiative publique (RIP), de couvrir les 43% restant. Le budget pour créer la future infrastructure de communications électroniques a été estimé à 20 milliards d’euros dont 6 à 7 seront supportés par les opérateurs et plus de 13 par les collectivités appelées à recevoir environ 3 milliards d’aides.

Mais plus que la question financière, ce sont les travaux de déploiements des réseaux et leur évolution dans les prochaines années qui intéressent les sénateurs. La Chambre haute a ainsi commissionné Hervé Maurey (UDI) et Patrick Chaize (LR), respectivement président et membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et rapporteurs à ce titre du groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire créé en mars dernier. Les deux hommes viennent de rendre leurs travaux qui s’inscrivent comme une première évaluation de la mise en œuvre des engagements du plan France THD.

La fibre en arrière plan de la montée des débits

Si, dans leur rapport baptisé « Couverture numerique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions », les auteurs constatent un certain satisfecit, notamment gouvernemental, sur le développement du très haut débit en France, ils sont loin de partager le même engouement. « Il y a au contraire tout lieu de considérer que l’évolution observée n’est pas de nature à répondre réellement aux inquiétudes de ses territoires  », avancent les rapporteurs.

Certes, les déploiements de réseaux THD progressent pour atteindre 44,3% des logements et locaux professionnels à la fin du deuxième trimestre. Mais « cette progression s’appuie principalement sur une rénovation du réseau de cuivre et du réseau de câble, dont la capacité en débit n’est pas de même nature que la fibre optique », notent les deux sénateurs. De fait, la technologie FTTH, vue comme une « frontière technologique » du numérique, « représente encore une fraction limitée de la couverture en très haut débit ». Sur près de 14 millions de foyers éligibles au THD, le FTTH en couvre 4,7 millions. Le reste provient de l’offre câble (FTTB, HFC) pour 6,5 millions de prises, et de la montée des débits sur paire de cuivre en VDSL2 (5,1 millions), selon les chiffres de l’Arcep.

Une répartition technologique inégale

Mais plus que l’enjeu technologique, c’est la question de répartition territoriale du THD qui inquiète Hervé Maurey et Patrick Chaize. « L’absence de garanties sur la complétude des réseaux en zone très dense, la faiblesse du conventionnement pour les engagements des opérateurs privés en zone intermédiaire, et les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour viser une couverture totale de la zone d’initiative publique fragilisent significativement les objectifs nationaux du Gouvernement, et la répartition territoriale des progrès enregistrés », peut-on lire dans la synthèse du rapport. Les deux hommes s’interrogent ainsi sur les engagements de couverture effective des opérateurs, sur les efforts qui resteront à accomplir dans la zone d’initiative publique en 2020 ou encore sur les coûts réels du déploiement du THD et des financements mis à disposition des collectivités territoriales. Sans réponse à ce jour.

Une inquiétude d’autant plus justifiée qu’ils constatent toujours l’existence persistante d’une réelle fracture numérique. Ainsi, 1 Français sur 10 ne dispose pas d’accès Internet supérieur à 3 Mbit/s quand les nouveaux usages (TV HD) nécessitent du 8 Mbit/s. Le constat est plus sévère encore sur le mobile où nombre de sites ruraux sont encore totalement dépourvus de couverture, même en 2G. Et si Orange et Bouygues Telecom annoncent couvrir plus de 70% de la population en 4G, le très haut débit mobile est encore absent de près de 70% du territoire national. Un décalage jugé « inacceptable » alors que « la plus-value apportée par les dernières technologies est bien plus importante dans les territoires ruraux que dans les zones urbaines déjà bien dotées , compte tenu de la rupture avec les débits actuellement disponibles ». Autrement dit, une fois encore, les avancées technologie se font au profit des zones les plus peuplées au détriment des territoires ruraux qui s’en voient d’autant plus fragilisés.

17 recommandations

Mais il est encore possible de résorber, avec le Plan France THD, ces fractures numériques à condition « d’intervenir rapidement ». Les deux rapporteurs formulent en ce sens 17 recommandations qui, globalement, invitent l’Etat à renforcer son action pour contraindre les opérateurs à s’engager contractuellement sur la couverture des réseaux THD, à mieux soutenir les collectivités financièrement (éventuellement par une taxe prélevée sur les abonnements haut et très haut débit), leur permettre une plus grande liberté d’exploitation commerciale de leurs réseaux et favoriser la technologie FTTH face au cuivre sans néanmoins interdire la montée en débit comme solution transitoire. Le rapport préconise également un désenclavement rapide (d’ici 2017) des territoires privés de THD, en faisant appel aux technologies satellitaires éventuellement ou de la 4G « fixe ». Et bien sûr, assurer la couverture mobile des territoires avec en ligne de mire la 4G pour l’ensemble de la population en 2022.

Autant de mesures qui n’entendent pas bouleverser le cadre des projets de déploiement tels qu’abordés, tant par l’Agence du numérique (qui intègre désormais la mission France THD) que par l’Arcep notamment chargée de superviser la couverture mobile des zones blanches d’ici 2016, mais à les renforcer. De son côté, le ministre de l’Economie, Emmanuelle Macron, entend convoquer régulièrement les opérateurs pour vérifier avec eux le déroulement de la couverture du territoire en très haut débit. Une cartographie publique de cette couverture permettra de suivre l’évolution des réseaux THD sur le territoire à partir de janvier prochain.


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