Qui a peur de Google?

La superpuissance de l’Internet sur la sellette, selon une tribune de
The Economist

Jamais, une compagnie n’a progressé aussi rapidement que Google, le plus populaire des moteurs de recherche de la sphère internet. Et cela est vrai sur plusieurs aspects, en terme de parts de marché de bénéfice et de revenus ; mais aussi par le nombre de personnes qui clique pour connaître les dernières actualités, trouver la pizzeria la plus proche, une image satellite surprenante, un parc où se détendre ; mais c’est aussi un monstre par son volume d’annonceurs et la quantité impressionnante de juristes et de lobbyistes à son service.

Un tel ascendant sur la Toile soulève bien des questions, à la fois des interrogations paranoïaques et d’autres plus sérieuses.Andreas Kluth, correspondant pour The Economist fait le point sur la question.

La liste de ses détracteurs augmente chaque semaine. Les chaînes de télévision, les éditeurs de livres et de journaux, tous ont le sentiment diffus que Google utilise leurs contenus sans les rémunérer… Les opérateurs Télécoms, comme AT&T et Verizon sont éc?urés de voir Google prospérer, sous leurs nez, en utilisant la bande passante qu’ils fournissent, qui plus est le mastodonte du Net en a récemment rajouté une couche en se lançant dans la course pour l’obtention d’une partie des fréquences libérées par le passage de la télévision analogique à la diffusion numérique.

Et ce n’est pas tout, puisque les petites sociétés haïssent également Google, parce qu’elles sont contraintes de payer pour être bien référencées sur le moteur de recherche. Elles se sentent spoliées par les algorithmes tordus de ce Hades (Le Dieu des enfers) de la Toile.

Et maintenant, c’est au tour des politiciens. Aux USA, les ultralibéraux n’apprécient pas l’accord passé entre le gouvernement chinois et Google. Et les conservateurs râlent contre la diffusion de vidéos non censurées. Mais la nouvelle grosse frayeur concerne le respect de la vie privée des utilisateurs.

Le modèle économique de Google repose en partie sur la conservation de milliards de données sur les internautes qui sont stockées dans les super computers américains de la firme. Ces données étaient dans un premier temps des logs sur les recherches des utilisateurs (ndlr : dans les faits, la conservation de ses recherches préférées) et les réactions face aux publicités.

Ce que l’on sait en revanche moins, c’est que ces données conservées concernent également l’email, le calendrier, les contacts, les documents, les photos et les vidéos. Elles peuvent également concerner le passé médical d’un internaute, et en préciser la localisation (déterminée grâce à un numéro de téléphone).

Plus JP Morgan que Bill Gates…

Google est souvent comparé à Microsoft (ce qui fait de ce dernier un autre ennemi…) ; pourtant, son évolution actuelle est plus proche de celle d’un groupe financier, d’une banque.

Car tout comme les institutions financières qui conservent et protègent notre argent, Google se transforme petit à petit en une espèce de concierge en charge de données concernant notre vie privée, beaucoup plus précieuses que le billet vert. Bien entendu cela est également vrai pour Yahoo! et Microsoft. Mais Google, va bien plus vite, et c’est lui qui est en train de tester les limites de ce que tolère la société.

Google est considéré comme étant arrogant. Un qualificatif utilisé par ses concurrents. D’autres s’énervent de l’image de sainteté que se donne la firme de Mountain View, comme si l’on ne pouvait pas remettre en question sa bonne volonté. Rappelons que le slogan de Google est « Don’t be evil » (traduire : « ne soyez pas méchants ! ») et que le groupe explique à qui veut l’entendre que sa mission n’est pas de « faire de l’argent », mais, comme l’explique le CEO de Google Eric Schmidt« de changer le monde ». Et toute sa structure a été montée pour protéger cette vision.

Ironiquement, il y a quelque chose d’assez nuageux autour des multiples critiques concernant Google. Ces dernières forment deux cumulus bien distincts. Il y a tout d’abord les arguments « publics  » sur la façon dont on doit réguler Google, puis les arguments « privés » des managers de Google, concernant la façon dont le groupe doit faire évoluer sa stratégie pour éviter le prochain orage…

Dans les deux cas, Google -contrairement à sa propre propagande- est le plus souvent perçue comme une méchante société qui cherche le profit à tout va.

Attraper des dollars

Le moteur de recherche apporte néanmoins un service qui est utile pour tout le monde, il aide les gens à trouver des informations (de façon gratuite) et il permet aux publicitaires de vendre des produits d’une façon ultra ciblée. Étant donné cela, la démonstration de la culpabilité de Google est à la charge des plaignants.

En ce qui concerne la concurrence, le prix que fait payer Google à ses annonceurs est déterminé lors d’une vente aux enchères, sa capacité à monopoliser la publicité est donc limitée. Qui plus est, le groupe doit encore se muscler, et percer sur d’autres segments du marché, à la façon d’un Microsoft.

La présomption d’innocence est également valable en ce qui concerne le droit d’auteur et le respect de la vie privée. Le produit « Google book search » par exemple, aide plutôt les éditeurs de livres, en remettant sur le devant de la scène des ouvrages perdus dans l’obscurité et encourage les lecteurs à s’acheter les originaux. Et malgré les discussions autour de la « Big Brotherisation » de la société, Google n’a pour l’instant pas trahi ses engagements en terme de secret et divulgation d’informations jugées comme étant personnelles. On peut même dire que pour l’instant, Google a plutôt été meilleur que ses rivaux en terme de relation avec les gouvernements, tant en Amérique qu’en Chine.

Reste que le conflit d’intérêts semble inévitable, surtout avec la vie privée. En effet, Google contrôle un cadran, qui au fur et à mesure qu’il vous vend des services, peut basculer dans deux directions. D’un côté, Google pourrait volontairement détruire toutes les données utilisateur en sa possession. Ce qui permettrait de garantir le respect de la vie privée, mais pas les revenus du géant de la recherche, car ces services seraient moins utilisés. De l’autre, Google continue de conserver ces données, ces services évoluent, mais des intrusions dans la sphère privée vont se produire…

La réponse à tout cela, comme il y a longtemps pour les banques, doit se trouver quelque part entre les deux directions. Et comme les banquiers (et Bill Gates) peuvent l’attester, le regard rigoureux du grand public est un véritable défi. Reste à savoir comment les patrons de Google vont présenter leur cas.

Une des solutions les plus évidentes pour la direction du groupe, est d’essayer d’apaiser les inquiétudes sur la loyauté de Google, en devenant plus transparent, en expliquant mieux son fonctionnement. Mais le moteur a aussi besoin d’un changement plus profond. Car Google ne peut plus, sous le prétexte que ces fondateurs sont de jeunes gens, agréables et branchés, et qu’il offre des services, refuser de répondre aux interrogations. Google est un outil capitaliste, un outil pratique, qui a des chances de résister à la tempête qui va un jour toucher ses fondations.

*Traduction autorisée d’un article de Andreas Kluth, correspondant pour The Economist