Gouvernance de l’Internet : le Sénat prône la création du Wicann

Les conclusions du rapport de la sénatrice Catherine Morin-Desailly ont été présentées. La mutation de l’Icann et la mise en oeuvre d’un modèle de gouvernance mondiale d’Internet basé sur les principes dégagés lors de la conférence NetMundial sont au menu.

Plus de six mois après sa création au Sénat, la mission d’information sur le rôle et la stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale d’Internet, a présenté, mercredi 9 juillet, les conclusions du rapport de Catherine Morin-Desailly (UDI-UC, Seine-Maritime).

À l’heure où la France s’oppose à l’Icann, gestionnaire technique du Net sous domination américaine, son rapport intitulé « l’Europe au secours d’Internet » propose de mettre en oeuvre un nouveau modèle de gouvernance multipartite pour restaurer la confiance. Une confiance altérée par les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance à grande échelle pratiquée par la NSA américaine et d’autres agences du renseignement, avec le soutien de l’industrie IT.

Transformer l’Icann en Wicann

La sénatrice Morin-Desailly formule 62 propositions dans son rapport. Elle propose notamment de consigner dans un traité les principes de gouvernance dégagés par les parties prenantes réunies lors de la conférence NetMundial à São Paulo en avril dernier. L’Europe doit peser et renforcer sa présence dans les instances de standardisation de l’Internet (W3C, IETF, IAB…).

La création d’un Conseil mondial de l’Internet est aussi préconisée. Issu de l’Internet Governance Forum (IGF) initié par les Nations-Unies en 2006, ce Conseil regrouperait toutes les parties prenantes (industriels, représentants de la société civile et des États). L’entité contrôlerait les décisions des instances de gouvernance appelées à « rendre compte de leur action ».

Autre élément clé du rapport adopté par la mission présidée par Gaëtan Gorce (PS, Nièvre) : la transformation de l’Icann. L’entité deviendrait une société de droit suisse « ou à défaut de droit international » nommée World Icann (Wicann). La supervision serait assurée par la communauté internationale. La séparation entre la Wicann et les fonctions clés du système des noms de domaine Internet (Iana ou Internet Assigned Numbers Authority) est prévue.

Paris s’oppose à Washington

La vision française de la gouvernance mondiale d’Internet se confronte à celle de l’administration américaine. Si les États-Unis se sont engagés à faire de l’Icann une société internationale au terme du contrat expirant en septembre 2015, ils militent pour une supervision par un unique collège d’experts. Washington refuse l’extension des prérogatives des Nations Unies à la gouvernance du Net et s’oppose aux velléités de fragmentation d’Internet par des gouvernements. Par ailleurs, alors que le régulateur américain des télécoms (FCC) envisage d’autoriser les opérateurs et FAI à prioriser le trafic de fournisseurs de contenus avec lesquels ils auront passé des accords commerciaux, la mission parlementaire française veut « concrétiser l’ambition de neutralité du Net » (une neutralité qui devrait s’appliquer aux réseaux comme aux services).

Pour couronner le tout, la mission d’information sur le rôle et la stratégie de l’UE dans la gouvernance mondiale d’Internet estime nécessaire « une régulation forte en matière de concurrence et de fiscalité ». Elle se prononce aussi pour la mise en oeuvre d’un régime « exigeant et réaliste » de protection des données à l’ère du Cloud et du Big Data, qui préserve l’équilibre entre protection des droits et compétitivité.

Enfin, le rapport de mission appelle l’Europe à construire une stratégie industrielle dans l’ensemble des secteurs clés de l’Internet et à se doter d’une vraie « diplomatie du numérique ». « L’Internet appelle à repenser les relations entre le droit et la technique. Il invite aussi à repenser la souveraineté sous une forme dynamique, non pas autour d’un territoire mais autour de communautés de valeurs », a assuré Catherine Morin-Desailly. « L’Europe, largement distanciée dans la distribution des pouvoirs, ne peut être crédible que si elle reprend en main son propre destin numérique ». Pour la sénatrice, l’UE doit se poser en médiateur afin de « faire émerger une gouvernance assurant un Internet ouvert et respectueux des libertés et droits fondamentaux ».


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