La réforme territoriale brouille l’action numérique des collectivités locales

A l’occasion d’un colloque, la FNCCR a fait part de ses inquiétudes sur l’évolution du numérique en France. Au menu : impact de la réforme territoriale, concentration du secteur des télécoms et volonté de créer un établissement public national du numérique.

Des incertitudes et des espoirs, ainsi peut-on résumer le colloque national numérique de la FNCCR (Fédération Nationale des collectivités concédantes et régies) qui s’est déroulé le 11 juin à Paris. Cette association regroupe plus de 600 collectivités territoriales et des établissements publics de coopération, spécialisés dans les services publics d’électricité, de gaz, d’eau et d’assainissement, et de communications électroniques. Or c’est sur cette dernière compétence et plus largement sur le numérique que les débats ont eu lieu.

Dans son discours d’ouverture, Gilles Quinquenel, président de la commission Communication Electronique de la FNCCR et vice-président du Conseil Général de la Manche est revenu sur le plan THD (très haut débit). « Aujourd’hui, il existe des incertitudes sur ce plan pour deux raisons. La première est la consolidation du secteur des télécoms qui fait craindre que les opérateurs n’auront pas les capacités financières d’investir dans la fibre. Il s’agit d’une perturbation dans les relations que nous avons avec les opérateurs ».

Un blocage des investissements dans la fibre

En second lieu, « la réforme territoriale qui devrait voir l’apparition de grandes régions est certainement une bonne chose, mais sur le plan du numérique, on peut craindre un blocage des investissements de la part des collectivités territoriales en attendant une plus grande visibilité sur la sécurité financière des investissements ». Il cite le cas de son département la Manche qui doit bientôt signer un investissement de 150 millions d’euros. « En l’état actuel des choses, je ne signerais pas. » Toujours sur le plan THD, Guy Hourcabie, président du SIEEEN (Nièvre) et premier vice-président délégué de la FNCCR, rappelle que « quand on parle du très haut débit, on parle de fibre et non de montée en débit (évolution de l’ADSL ou câble), comme certains nous poussent à le faire ». Un avis partagé par d’autres élus, comme Henri Emmanuelli, député des Landes et président du Conseil Général des Landes : « Il y a des inquiétudes sur le fibrage du territoire sur le financement. Et pourtant, il existe des solutions financières avec des prêts sur 20 ou 30 ans via la Caisse des Dépôts qui est en sur-liquidité ».

Problème de visibilité sur les structures de mutualisation

Autre élément impacté par ces bouleversements territoriaux, les structures de mutualisation. Ces organismes qui peuvent avoir plusieurs formes juridiques (syndicat mixte, centre de gestion, etc.) ont permis à un certain nombre de territoires de mutualiser des moyens, des ressources financières et techniques. Dans le numérique, ces structures ont acquis des compétences dans plusieurs domaines. « Nous avons commencé par faire connaître l’informatique aux élus et à la population, puis dans une deuxième phase nous avons équipé les communes, centralisé les marchés sur les matériels et les logiciels, la formation et la maintenance », assure Henri Emmanuelli à travers l’expérience d’ALPI 40 (Agence Landaise pour l’informatique). Ces structures sont devenus « incontournables pour les petites communes », souligne Georges Foissac, président du Conseil Général du Lot et d’ajouter que « la compétence va jusqu’au rôle de conseil en matière de logiciel métier ou la télésauvegarde ».

Or avec la réforme territoriale, Francis Kuhn, directeur du syndicat intercommunal des collectivités territoriales informatisées des Alpes Méditerranée (SICTIAM) qui regroupe les Alpes-Maritimes, Var, Gard et Alpes de Haute-Provence, constate qu’ « il y a une hypothèque sur l’avenir de la gouvernance dans le numérique. Nous sommes des structures reconnues par l’Etat mais pas dans la loi. Dans la réforme, il y a une priorité donné aux échelons administratifs comme les communautés de communes par exemple et nous n’avons donc pas de visibilité sur le futur ». A cela s’ajoute une question politique. « Certains départements travaillent ensemble dans le numérique, l’intégration dans différentes grandes régions risquent de poser des problèmes s’ils sont séparés comme cela peut-être le cas dans l’Ouest de la France », nous explique Guy Hourcabie.

La création d’un établissement public numérique

Pour autant, tous les élus s’accordent sur le fait qu’il est nécessaire d’avoir une structure de coordination nationale des politiques publiques numériques. D’où l’idée de créer un établissement public numérique (EPN) qui selon Karim Oural, conseiller communautaire pour Lille Metropole, en charge de l’économie numérique de la ville de Lille et membre du CNN (Conseil National du Numérique), doit être centré sur « l’infrastructure, les usages et la French Tech. Il faut que les usages rejoignent les tuyaux et permettent de développer des talents et de la productivité ».

Christian Paul, député de la Nièvre est aussi favorable à la création de cet EPN en lui attribuant deux missions sur la partie infrastructure, « le pilotage national et la coordination du THD pour coaliser les moyens publics, mais également être l’interlocuteur privilégié des opérateur et en particulier avec Orange ». Gilles Quinquenel entend bien accélérer l’avènement d’un tel établissement qui pourrait prendre la forme d’une agence du numérique au départ, « les collectivités sont prêtes. Avec la réforme territoriale, il y a un besoin d’avoir un espace de stratégie sur le numérique. S’il n’y a pas d’impulsion de l’Etat, les collectivités locales vont créer toutes seules cet établissement ». A bon entendeur…