Régis Granarolo (MUNCI) : « Nos employeurs craignent par-dessus tout le plein emploi »

Régis Granarolo, président de l’association professionnelle MUNCI, met l’accent sur la situation du marché français de l’emploi IT, un marché démythifié…

Avec un taux de chômage moyen des informaticiens proche des 10% en France (cat. ABC), la filière IT n’échappe pas à la contraction du marché. Régis Granarolo, président du MUNCI, association qui regroupe plus de 2500 salariés, travailleurs indépendants et demandeurs d’emploi du secteur informatique, remet en cause le mythe de la pénurie de main-d’œuvre et fait le point sur l’évolution de la filière.

Silicon.fr – À qui profite la sous-évaluation du nombre de chômeurs parmi les informaticiens ?

Régis Granarolo – Il ne s’agit pas d’un « complot », ni même d’une volonté de minimiser ce nombre de chômeurs. Si, de 2006 à 2012, le Syntec Numérique a fortement minimisé ce chiffre, le syndicat patronal a fini par se ranger aux statistiques publiques suite à l’étude commandée au cabinet BIPE. En réalité, le fautif est surtout… le MUNCI !

En effet, nous travaillions depuis des années sur une source incomplète pour évaluer le nombre de demandeurs d’emploi dans nos professions, chiffres repris depuis par la presse professionnelle, jusqu’à ce qu’un contact avec la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) nous oriente vers une nouvelle source beaucoup plus adéquate il y a seulement quelques semaines… Ce travail devrait d’ailleurs incomber aux partenaires sociaux ou au ministère chargé de l’Économie numérique, mais ce n’est visiblement pas leur priorité.

Il peut aussi arriver que certains surévaluent les créations d’emplois dans le numérique. Cette surévaluation peut être d’ordre prévisionnel (exemple : l’étude McKinsey qui prévoyait 450 000 emplois créés dans le secteur sur 2010-2015, or selon le rythme actuel la réalité ne devrait pas dépasser les 150 000 emplois créés sur cette période) ou bien résulter d’une tromperie plus ou moins volontaire.

Les créations d’emplois annoncées dans l’industrie du logiciel illustrent parfaitement ce deuxième cas de figure. Prenons l’exemple du dernier Truffle 100 qui annonce fièrement 13 000 emplois créés dans ce secteur en 2012, alors qu’il y a eu environ 7000 emplois créés dans l’ensemble du secteur des activités informatiques l’an dernier (sources : Insee, Syntec Numérique) !

Il y a tromperie car il s’agit de toute évidence d’emplois créés au niveau monde – donc surtout en offshore – et pas seulement en France. De plus, les statistiques publiques contredisent totalement les chiffres avancés par le Truffle 100 et le Top 250 Syntec Numérique / Ernst & Young en 2010 et 2011. Il en sera certainement de même quand nous connaîtrons les chiffres de 2012…

Ce n’est pas par la « méthode Coué » et les faux-semblants que l’on peut faire avancer les choses. Ceci a notamment pour conséquence une minimisation des suppressions d’emplois dans notre secteur par le gouvernement, en particulier par le ministre Arnaud Montebourg qui ne s’intéresse qu’à l’industrie.

Enfin, il peut y avoir une différence d’interprétation des chiffres. Quand le Syntec Numérique commente le taux de 5% de chômeurs chez les ingénieurs en informatique, il en conclut « qu’il y a donc pénurie d’ingénieurs informaticiens en France ». Nous, nous disons plutôt que ce taux est proche du plein emploi, donc d’un marché du travail équilibré, ce qui devrait être un objectif partagé par tous.

En réalité, nos employeurs craignent par-dessus tout le plein emploi et ses difficultés de recrutement, car c’est contraire à la flexibilité, entraîne des dépenses de formation et favorise le rattrapage des salaires : un marché du travail proche de l’équilibre est forcément un marché… pénurique !

De surcroît, exagérer les difficultés de recrutement a toujours été un moyen de renchérir le coût des prestations auprès des clients, mais aussi de mieux légitimer le recours à l’offshore et à l’immigration économique dans et depuis les pays à bas coûts… souvent synonymes de dumping social.

S’il n’y a pas pénurie d’informaticiens, comment expliquez-vous les « difficultés de recrutement » dans la filière ?

Il faut savoir d’abord que la mesure des difficultés de recrutement est très inégale selon les enquêtes et leur méthodologie, en voici la preuve pour le cas des ingénieurs en informatique en 2013 :

APEC : 79% | BMO Pôle emploi : 67% | Obs. TEC MEDEF : 27% | Insee : 23%

En réalité, ces enquêtes sont peu pertinentes pour nos métiers (du fait de leur grande diversité) et ne font, le plus souvent, qu’évaluer subjectivement les anticipations de difficultés de recrutement côté employeurs. Les difficultés de recrutement dans l’informatique sont une réalité, à la fois côté employeurs et demandeurs d’emploi, qu’il convient de relativiser au vu des constats suivants :

  • le marché du travail informatique est un marché de compétences extrêmement diversifié, spécialisé et évolutif ;
  • le modèle socio-économique de l’industrie du numérique repose toujours plus sur le jeunisme ;
  • le déficit de RSE*, GPEC** et formations dans les entreprises du numérique ;
  • le manque d’attractivité des SSII/SICT, principaux employeurs de la filière ;
  • les salaires modérés et souvent bloqués au-delà de 5 à 10 ans de carrière ;
  • le nombre croissant d’informaticiens se mettant à leur compte en freelance ou portage salarial.

Mais il faut bien voir que ces difficultés de recrutement concernent essentiellement les profils stéréotypés et sur mesure que recherchent nos employeurs, à savoir de jeunes Bac+5 « multi-compétents » à des salaires modérés.

L’exécutif français et les organisations patronales veulent s’attaquer aux « offres d’emploi non pourvues ». Qu’en pensez-vous ?

C’est évidemment une bonne chose, car « la grande inadéquation » entre l’offre et la demande est le problème n°1 dans notre secteur. Mais encore faut-il connaître les véritables raisons pour lesquelles ces offres d’emploi ne sont pas pourvues.

D’après une étude APEC, le manque de candidatures adéquates explique seulement 15% des abandons de recrutements et donc des offres non pourvues sur le marché de l’emploi cadre. Les principales raisons concernent directement l’employeur, elles sont : budgétaires (28%), économiques (27%), de redéfinition du poste (20%).

Dans l’informatique, près de 4 offres d’emploi sur 5 ne correspondent à aucun poste immédiatement disponible du fait des pratiques de sourcing et de recrutements abandonnés à la suite d’appels d’offres perdus. Si bien que le secteur des activités informatiques est celui où le taux de recrutements abandonnés est le plus élevé selon l’APEC.

Quant aux offres non pourvues et retirées par Pôle emploi faute de candidats dans le domaine des études & du développement informatique, elles se sont élevées à 1929 « seulement » en 2012. Et, d’après le MUNCI, le nombre total d’offres d’emploi non pourvues sur l’ensemble du marché du travail informatique faute de compétences adaptées n’a pas dépassé les 5000 offres en 2012.

Certains observateurs sont totalement « à l’ouest » quand ils évoquent le chiffre fantaisiste de 50 000 emplois de développeurs web non pourvus ! Il y a d’ailleurs toujours 3000 à 4000 cadres informaticiens au chômage immédiatement disponibles inscrits à l’APEC dans la catégorie informatique web, sites et portails Internet.

J’insiste, nos employeurs recherchent surtout de jeunes candidats immédiatement opérationnels, en comptant principalement sur la formation initiale, qui n’a pourtant pas pour objet de former des candidats trop spécialisés. Pour le MUNCI, l’effort doit être mené en priorité sur l’adaptation de la formation continue des demandeurs d’emploi et des salariés, afin d’ajuster assez rapidement l’offre à la demande par des formations opérationnelles de courte ou moyenne durée, mais aussi par des formations plus longues (d’un Bac+2 au Bac+5, des non-informaticiens).

Le MUNCI souhaite mobiliser à l’échelle nationale des demandeurs d’emploi en informatique. Pouvez-vous préciser vos intentions ?

Cette décision sera probablement prise à la rentrée 2013 à l’occasion de notre assemblée générale – où l’on fêtera par ailleurs les 10 années du MUNCI !

Il y a beaucoup d’exaspération parmi nos 57 000 demandeurs d’emploi en informatique, essentiellement parmi les Bac+2 et les cadres de plus de 50 ans qui rencontrent de réelles difficultés pour retrouver un poste. Les raisons : les critères de recrutement hyper-sélectifs des employeurs, mais aussi des difficultés pour trouver une formation correspondant à leur profil et aux besoins prioritaires du marché.

Lorsqu’ils entendent parler de « pénurie d’informaticiens » – comme le dit, par exemple, la ministre de l’Enseignement supérieur Geneviève Fioraso, malgré les 8 à 10% de taux de chômage dans la profession –, c’est un peu comme si on leur disait en face qu’ils n’existent pas…

Il est possible, enfin, que la mobilisation s’adresse à la fois aux demandeurs d’emploi et aux (ex-)salariés de SSII.

*RSE : Responsabilité sociale des entreprises ; **GPEC : Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.


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