Salon CeBIT: Lucent repart à l’assaut de l’Europe

A l’occasion du méga-Salon de Hanovre, Patricia Russo, p-dg de Lucent, a présenté un bilan positif des réajustements stratégiques du groupe, qui, en Europe, avait connu quelques ratés dans la compétition UMTS

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Le groupe Lucent a fondamentalement changé. Depuis la crise 2001-2002, nous avons opéré une rupture dans notre stratégie, c’est vrai« , nous a déclaré ce 9 mars Pat Russo. « Nous nous sommes recentrés sur le marché des services. C’est une décision que nous avons pleinement assumée, et qui nous a conduit à investir, par exemple, dans les métiers d’ingénierie« . Sur le marché américain, ce revirement stratégique a payé: « Nous avons repris des positions clés sur un marché de 40 milliards de dollars, et nos récents réajustements ont été le véhicule de notre retour à la croissance et au profit. Lorsque le gouvernement américain a mis l’accent sur les investissements en matière de sécurité, nous étions bien positionnés. Et en parallèle, nous avons préservé un leadership technologique dans les télécoms filaires et mobiles, dans les réseaux optiques, etc, en nous appuyant, toujours, sur les Bell Labs« . Le fait est qu’il aura fallu deux ans au géant, issu de la constellation AT&T, pour tirer les fruits, par exemple, de sa plate-forme de services IMS (IP multimedia subsystem)): cette « architecture », qui illustre la convergence entre les réseaux câblés et les mobiles, entre la téléphonie et le monde Internet, a trouvé preneur chez bon nombre de grands opérateurs télécoms. Pour revenir à une situation financière saine, « il a été nécessaire de prendre des décisions radicales s’agissant de nos structures de coûts et de dépenses« , a ajouté Pat Russo, toujours svelte et souriante en commentant ses bons chiffres, y compris pour l’Europe. Le groupe s’est terriblement amaigri en se réduisant à un quart de ses effectifs, chutant de 130.000 à… 32.000 salariés aujourd’hui. Des pans entiers de l’activité sont devenus des sociétés ‘spin-of’ (Avaya, Power Systems…) et les usines ont disparu, au profit de la sous-traitance. C’est aussi à ce prix que les bons chiffres sont revenus: pour rappel, le chiffre d’affaires annuel s’est accru de 7% au 30/09/2004, à 9,05 milliards, tandis que le résultat net de -770 millions de dollars en 2003 a atteint 2 milliards de dollars sur l’année fiscale écoulée (mais le fisc n’a pas manqué de rattraper le groupe -on s’en souvient…, de sorte que le « cash » opérationnel s’est soldé, honorablement, à +634 millions de dollars). Depuis lors, pourtant, le 1er trimestre 2004-2005 (au 31/12/2004) a déçu les analystes financiers. Il reste que le retour à la profitabilité est bien là. Un « bouquet » de 14 contrats européens « L’Europe a nettement contribué à ce rétablissement« , a également insisté Pat Russo. La croissance, l’an passé, y a été de +7%, comme aux Etats-Unis. Et pour preuve de la reconquête de ses positions, la p-dg a évoqué la signature, pour 200 millions d’euros, de 14 contrats significatifs de ce côté-ci de l’Atlantique, dont deux très récents avec Deutsche Telekom /T-Systems, et un autre avec le polonais Telekomunikacja Polska, opérateur contrôlé par France Télécom (25 millions d’euros en réseaux large bande et accès xDSL). L’Europe, qui représente environ 15% du chiffre d’affaires du groupe, demeure un objectif stratégique. Mentionnons aussi un contrat avec Colt Telecommunications, visant notamment la France et le Royaume-Uni (solution Ethernet sur infrastructure réseau SDH). Priorité aux services, et « value… over IP » « Notre atout sur le marché européen, c’est de n’avoir pas abandonné le créneau des réseaux optiques, les équipements DWDM, etc., même lorsqu’il y a eu surcapacité de ressources« , nous a expliqué, pour sa part, Dave Poticny, président de Lucent Technologies Europe. « L’autre levier est notre réorientation vers les services, y compris les « services opérés » pour le compte de nos clients; cela représente déjà un bon tiers de nos revenus. C’est toute l’expertise que nous déployons auprès des opérateurs, par exemple, pour l’optimisation de leurs réseaux mobiles 3G, ou encore les prestations que nous délivrons à partir de notre ‘Network operation center’ basé en Hollande » L’exemple de l’Active phone book Et il ajoute: « Notre point fort aujourd’hui, c’est bien notre architecture de convergence IMS, initialement conçue pour les réseaux de mobiles. Elle recouvre à la fois nos solutions de voix sur IP, la gestion des abonnés, le développement d’applications de convergence futuriste comme le concept d’ « active phone book »: un simple click sur votre PDA ou PC portable ou ‘smart phone’ va enclencher tout un ensemble de tâches s’enchaînant logiquement. Exemple, en consultant votre agenda de la fin de journée, vous allez réajuster vos choix: modification d’un billet de train ou d’avion, avec information immédiatement transmise à ceux à qui vous voulez le faire savoir, etc. Du concept de mobilité, nous permettrons de passer à celui de « personnalisation »« . Pour mettre en oeuvre ces nouveaux services, Lucent déclare miser notamment sur ses « softswitchs », passerelles ‘software/hardware’ uniques, communes aux réseaux conventionnels, fixes ou mobiles, et aux réseaux IP. Et l’industriel veut rassurer les opérateurs peu enclins à faire une croix sur les réseaux fixes classiques, toujours rémunérateurs malgré la dégringolade du prix des minutes: Lucent fait un clin d’oeil en détournant l’acronyme VoIP (voice over IP) en… « Value over IP« . L’équipementier mise enfin beaucoup sur son offre UMTS/HSDPA (high-speed downlink packet access), qui vise, essentiellement, à optimiser la convergence autour de la mobilité. Président… et directeur général !

Est-ce qu’un président du conseil d’administration ne peut plus être un « top executive »? Ou est-ce qu’au contraire un bon CEO doit présider le conseil d’administration? Pat Russo n’a pas esquivé notre question: « Cela dépend. Dans certains groupes, dans certains contextes d’entreprise -crise ou pas crise, situation particulière, etc., il peut être souhaitable de dissocier les deux. Pour ma part, je suis arrivée au poste de CEO[directeur général] et ensuite le Conseil d’administration m’a désigné président » Donc Pat Russo, « chairman & CEO » ne souffre pas du syndrome de Carly [Fiorina, HP]… « Vous avez eu ma réponse [grand sourire]. Je me garderai de tout autre commentaire« . Il est vrai que Mme la présidente connaît ces fonctions. Après avoir démarré sa carrière durant 8 ans chez IBM dans la vente et le marketing, elle fut cadre dirigeant chez AT&T: de 1992 à 1996, elle y dirigea la division Business Communications Systems. Cette division, après être allée dans le portefeuille fondateur de Lucent, est devenue Avaya, une ‘spin-off’ que Pat Russo a ensuite présidée, au Conseil d’administration, avant de devenir en 1999, d-g du groupe Service Provider de Lucent. C’est alors qu’elle fit un aller-retour chez Eastmann-Kodak, où elle fut CEO de 2000 à 2002.