Sébastien Soriano, ARCEP : « le réseau cuivre est plus dégradé que prévu »

Couverture mobile, 700 MHz, déploiement de la fibre, mesure de la qualité, net neutralité… A l’occasion de sa deuxième audition devant la commission des Affaires Économiques de l’Assemblée Nationale, Sébastien Soriano revient sur les principaux chantiers en cours de l’Arcep.

A l’occasion d’un récent débat sur le rôle du régulateur face aux évolutions des technologies numériques organisé par l’incubateur TheFamily, Sébastien Soriano n’avait pas manqué de rappeler que, s’il était reproché à l’Arcep sa trop grande indépendance, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à l’occasion devait régulièrement rendre des comptes aux parlementaires. « Le contrôle par le Parlement est la contrepartie [de cette indépendance] » a de nouveau souligné, ce mercredi matin, le président de l’Autorité à l’occasion de sa deuxième audition devant la commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale depuis sa nomination en début d’année. Face aux questions des députés, Sébastien Soriano a donc eu l’occasion de revenir sur plusieurs dossiers en cours et à venir.

Sur les licences 700 MHz, fraichement attribuées, Sébastien Soriano s’est félicité d’avoir tenu le calendrier « extrêmement exigeant » du gouvernement qui souhaitait finaliser cette attribution avant la fin de l’année pour cause d’inscription des revenus tirés des ventes des fréquences au budget 2016. Il a ensuite souligné que la vente des fréquences (expédiée en moins de deux jours) « permet à Free de rattraper une partie de son retard et de s’engager pleinement sur le marché » et « confirme la présence et l’engagement des quatre opérateurs ». Une façon de dire que le paysage à quatre acteurs nationaux est là pour durer ? Côté engagement, le président a aussi rappelé que, avec les 700 MHz, les opérateurs étaient tenus de déployer une nouvelle couverture sur les axes ferroviaires, grandes lignes comme RER et Transilien.

Mesure de la qualité : un écart à corriger

En attendant l’exploitation de ces nouvelles fréquences (à l’horizon 2019), la question de la couverture mobile figure parmi les principales préoccupations des parlementaires qui s’inquiètent de la persistance des zones blanches ou de la qualité de service qui, selon eux, se dégrade. Côté zones non couvertes, Martine Lombard, membre du collège de l’Arcep présente aux côté de son président, a rappelé que la loi Macron du 6 août 2015 fixait deux obligations en ce sens : le déploiement de la 2G dans les 238 communes identifiées à ce jour (le recensement se poursuit) sans aucune couverture avant fin 2016, et l’installation de la 3G dans les 2 200 villes qui en sont encore dépourvues. Par ailleurs, environ 800 dossiers concernant les zones d’activités à l’écart des centres-bourgs, seront présentés par les collectivités locales à l’Agence du numérique. L’Arcep, de son côté, s’assurera de la mise en œuvre de ses objectifs sous couvert de sanctions aux opérateurs qui ne respecteront pas la convention signée dans ce sens. Un pouvoir de sanction qui figure parmi les nouveaux rôles de l’Autorité.

Concernant le présent, à savoir la qualité de la couverture mobile actuelle, Martine Lombard a reconnu « un certain écart » entre la carte des mesures de l’Arcep et le ressenti des usagers. Une question qui concerne les zones grises où la couverture n’est pas assurée en permanence. Un chantier sur la question des mesures sera ouvert en 2016 pour améliorer la qualité des mesures, notamment en indoor (à l’intérieur de bâtiments). « Avec la loi Macron, nous allons pouvoir demander aux opérateurs de réaliser des mesures qui seront faites par des prestataires indépendants que nous sélectionnerons », a précisé Sébastien Soriano. Néanmoins, celui-ci souhaiterait « impulser une mutualisation très forte des réseaux avec un réseau quasiment unique pour 10 à 15% de la population [des zones rurales] » dans le cadre du multi-roaming. « Mais c’est un travail de long terme sur lequel nos moyens sont limités. »

Une ambition sans pareil sur la fibre

L’autre grand chantier concerne le déploiement du très haut débit et l’extinction du cuivre. Le président de l’Arcep réfute l’idée du retard de la France sur le déploiement du THD mais reconnait que, faute d’une infrastructure câble très étendue (30% des foyers) le pays est condamné à « sauter une génération » technologique. Autrement dit, amener la fibre jusqu’aux foyers. C’est l’enjeu du plan France THD qui veut couvrir 80 % de la population en fibre optique. « Nous avons une ambition sans pareille en Europe pour déployer le FTTH, a déclaré Sébastien Soriano, un chantier au long court » qui passera par l’extinction du cuivre.

Sur ce point, l’Arcep vient de fixer l’augmentation « progressive et modérée » du prix de la paire de cuivre dans le but de stimuler les investissements dans la fibre. « Nous n’avons pas jugé souhaitable de baisser les prix, a confirmé le président de l’Arcep tout en précisant des réductions sur d’autres tarifs dans une logique d’orientation des coûts [afin de donner] un bon signal pour la transition du très haut débit. » Sur la question du cuivre, Sébastien Soriano s’est dit « extrêmement conscient de la dégradation du réseau cuivre, et son ampleur nous a surpris ». Une surprise néanmoins contestée par Laure de La Raudière, membre de la commission qui, dans l’auditoire et par tweet, a rappelé avoir signalé à l’Arcep les problèmes de mesure dès 2012.

Soriano président du Berec ?

Sur les questions du rôle plus global de l’Arcep dans l’économie numérique, Sébastien Soriano a déclaré que « l’Europe est un élément clé de notre action et c’est par ce prisme que nous allons nous manifester dans le cadre de projets de loi ». « Moi-même,je serai amené à prendre des responsabilités dans cadre du Berec » a-t-il ajouté. Sébastien Soriano bientôt président du régulateur européen des télécoms ? Avec, parmi les enjeux, la gestion de la neutralité du net.

Sur ce point, Jacques Stern, membre du collège également présent à l’audition, a rappelé que, même si l’Arcep s’était précocement penché sur la question dès 2009, il s’agissait là d’un nouveau rôle pour l’Autorité. Celui « d’être le gardien de ce droit et de contrôler les exceptions ». Lesquelles sont pour le moment de deux ordres : la question de la gestion du trafic « qui doit être proportionnée, transparente, non discriminante et pas fondée sur des objectifs commerciaux »; et les services gérés visant à « s’écarter de l’Internet best effort pour assurer des services de qualités spécifiques ». Lesquels concernent, pour l’heure, la téléphonie avec la voix sur IP et la télévision (IPTV). Mais ils pourront s’étendre à d’autres à l’avenir comme la télémédecine. L’Arcep établira en ce sens des lignes directrices dans le cadre de la loi Lemaire pour une République numérique. « La loi n’est que la première pierre d’un édifice à venir », a imagé Jacques Stern.

La régulation plutôt que des règles figées

Pour sa part, comme il l’avait évoqué lors du débat à TheFamily, Sébastien Soriano a confirmé que l’Arcep partageait désormais la philosophie des entrepreneurs du numériques en recherche de souplesse et d’agilité dans un secteur en mutation permanente. « C’est un message que nous adressons au gouvernement, nous l’invitons au droit souple et à la régulation plutôt qu’à des règles figées et trop précises qui risque de poser des problèmes de compétitivité. » Autant de questions sur lesquelles reviendra l’Arcep au cours de prochains mois avec le lancement de sa revue stratégique en janvier qui définira la feuille de route de son action à venir. « Nous ne sommes pas dans une revue de mission mais revendiquons le fait de hiérarchiser les priorités, compte tenu des moyens contraints et du nombre de dossiers », a souligné Sébastien Soriano.


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