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La Silicon Valley reste l’eldorado des informaticiens français… malgré Trump

« D’ici à 2025, les Etats-Unis vont avoir besoin d’un million de nouveaux développeurs »,  prévient Julien Barbier, CEO et fondateur, avec un autre français, Sylvain Kalache, de la Holberton School, école située au cœur du Financial District de San Francisco et dont l’ambition est de former en deux ans des développeurs « full stack », en s’appuyant essentiellement sur un système d’apprentissage par les pairs. Lancées dans une folle course à l’innovation, les entreprises tech de la Valley se disputent ainsi les meilleurs éléments de la scène internationale. Rien d’étonnant dès lors à ce que les salaires de la profession y soient, en moyenne, les plus élevés au monde, ainsi que le confirme le site spécialisé Hired. D’après la seconde édition de son étude Global State of Tech Salaries, le salaire moyen annuel s’y situe à 134 000 $ contre 73 000 $ à Londres et 55 000 $ à Paris.

« Les meilleures entreprises et les meilleurs talents au monde »

En croisant les expériences de plusieurs ingénieurs français expatriés, nous constatons plutôt des salaires allant de 70 000 à 100 000 $/an pour une première embauche dans la Valley. « Les entreprises qui vous aident à obtenir un visa prennent cet élément en compte dans la négociation », souligne Emilien Stremsdoerfer, venu dès son diplôme en poche. Titulaire d’un visa J1 (stage ou premier emploi), il espère obtenir rapidement le visa H1B (visa de travail temporaire) des travailleurs de la tech et plus tard, qui sait, sa Green card, soit sa carte de résident permanent. Ces embauches pourraient-elles être remises en cause par la politique d’immigration qui se dessine dans l’Amérique de Donald Trump ? « Nous ne sommes pas en première ligne… Mais tout est possible ! », répondent en majorité nos interlocuteurs, peu inquiets toutefois et prêts, si besoin, à faire leur valises pour poursuivre ailleurs.

Les Français plutôt appréciés

Julien Barbier

En Californie, les ingénieurs français ont bonne réputation. Et, à l’évidence, aucune formation, école ou université n’est privilégiée, si on se fie à nos rencontres : Julien Barbier est diplômé d’Epitech, Florent Crivello de Supinfo, Emilien Stremsdoerfer de l’ECE, tandis que Jérôme Petazzoni et Sylvain Kalache sont passés par l’université. « On ne s’intéresse pas ici à l’étiquette d’une école ; vous êtes considéré pour ce que vous valez, pour votre implication dans un projet, au sein d’une équipe », note Julien Barbier, concédant que « les profils mixtes, à la fois tech et business, sont recherchés. »

Autre source de satisfaction, la progression : les salaires peuvent évoluer très vite. Un ingénieur en développement se situe dans une fourchette de 120 000 à 150 000 $/an au bout de 3 ans et atteint 200 000 $ après 4 à 6 ans de présence dans une entreprise. Une croissance qui s’explique souvent par le succès de l’activité, comme l’exprime Jérôme Petazzoni : « Chez Docker, nous étions cinq quand je suis arrivé… Et nous sommes 300 aujourd’hui !». Et qui peut atteindre des sommets : « Même si cela reste rare, certains, après 10 ans d’expérience, atteignent le million de dollars par an, stock-options incluses », remarque Julien Barbier.

Car il faut ajouter aux salaires précédemment cités une rémunération complémentaire sous forme de stock-options ou d’actions (RSU, soit Restricted Stock Units). Celles-ci, attribuées chaque année, atteignent souvent des niveaux équivalents à celui du salaire : un moyen efficace d’inciter les ingénieurs à s’investir dans le développement de l’activité. Mais, attention, les stocks-options ne sont monétisables que lors d’une introduction en bourse ou un rachat.

Tous comptes faits

Ces montants, parfois vertigineux, doivent cependant être relativisés. Par les variations de change d’abord : entre août 2014 et janvier 2017, le dollar s’est apprécié de 25 %, ce qui accentue l’écart. Par le pouvoir d’achat ensuite. Ainsi, selon l’étude de Hired, « le salaire moyen d’un ingénieur software à Austin (Texas), de 110 000 $, correspond à 198 000 $ à San Francisco, quand on tient compte du coût de la vie ». Un travers que les Français pointent unanimement : « les loyers ont augmenté de 60 % depuis 5 ans ». Il faut ainsi compter facilement 4000 $ par mois pour le loyer d’un 80/85 m2. Et la facture explose lorsqu’il y a des enfants : garde et école sont en effet très chères. Bref, la région est plus orientée travail que famille !

Emilien Stremsdoerfer

Enfin, les salaires précédents, généralement accompagnés d’une assurance santé très convenable, sont bruts. Pour avoir un net (« Take Home Pay »), il faut retrancher, en Californie, environ 40 % de charges sociales, taxes locales[1] et impôts sur le revenu, car aux Etats-Unis ces derniers sont prélevés à la source. « Contrairement à une idée reçue, nous payons beaucoup d’impôts aux Etats-Unis ». Seule la retraite n’est l’objet d’aucun prélèvement obligatoire et reste à la charge du salarié.

Ces éléments pris en compte, que reste-t-il ? Et, surtout, un informaticien vit-il mieux à San Francisco qu’en France ? Jérôme Petazzoni est catégorique : « Je gagne nettement mieux ma vie ici, mais tout est plus cher ; si j’étais resté en France, j’aurais un train de vie assez similaire ». Un avis partagé par Julien Barbier. En revanche, pour Florent Crivello ou Emilien Stremsdoerfer, il n’y a pas photo : on est vraiment gagnant dans la Valley.

Émulation, partage, reconnaissance

Pour autant, l’attrait du gain ne semble pas avoir été le moteur principal de leur traversée de l’Atlantique. Chez tous, une certaine fierté ressort quant au parcours effectué depuis leur arrivée, l’entreprise pour laquelle ils travaillent et la liberté, la confiance qui leur y est accordée. « Nous travaillons sur des projets très excitants », se réjouit Florent Crivello. «  En France, nous sentons souvent un côté ‘exécutant’, voire ‘presse –citron’, dans la façon dont est considéré l’ingénieur informatique. L’américain est plus autonome, a plus de marge de manœuvre. Il est aussi plus écouté et, souvent, a son mot à dire dans la stratégie produit. » L’environnement quotidien est soigné et agréable : canapés, salles de repos, snacks et jus de fruit à volonté.

La Silicon Valley assure ainsi un cadre stimulant et une reconnaissance précieuse pour les ingénieurs qui s’investissent. Cet épanouissement professionnel est aussi la garantie d’un avenir prometteur pour ceux qui rentreront en France, grâce au fameux « Valley premium ». S’il faut se garder de s’emballer, le séjour, qui concerne aujourd’hui en grande majorité de jeunes hommes, reste avantageux. A la faveur de levées de fonds qui atteignent des niveaux très élevés, une chasse aux éléments les plus brillants sévit… mais pour combien de temps encore ?

[1] Une partie des taxes est locale. L’Etat de Californie prélève des montants très importants par rapport à beaucoup d’autres états, comme la Floride par exemple.

Jérôme Petazzoni
Après un DEA d’informatique à Paris Est, Jérôme travaille en France dans plusieurs petites structures spécialisées dans la VoIP, le Cloud, le streaming… Expert open source et Linux, il collabore avec Solomon Hykes, rencontré précédemment, et le suit lorsque ce dernier, qui a créé dotCloud en France, s’implante dans la Silicon Valley. Rapidement, Jérôme manage une équipe gérant la plate-forme d’hébergement de dotCloud puis, lorsque la société est rebaptisée Docker en 2013, il la représente à l’international.
Julien Barbier et Sylvain Kalache
Un esprit « serial entrepreneur » et une expérience déjà longue réunit ces deux personnalités volontaires qui incarnent le positivisme américain. Diplômé d’Epitech et d’intelligence économique, Julien a déjà un passé de créateur d’entreprise lorsqu’il aborde la Silicon Valley où il rejoint la petite équipe de Français de dotCloud/Docker.
Parallèlement à ses études universitaires en France (Toulouse), Sylvain multiplie les expériences professionnelles dans l’informatique et part deux ans en Chine, avant de passer son master à San Francisco où il est ensuite embauché par SlideShare, racheté un an après par LinkedIn pour 128 M$.
Florent Crivello
En France, durant ses études à Supinfo, Florent développe une petite agence Web. Venu achever son cursus aux Etats-Unis en 2014, grâce à une antenne de son école à San Francisco, il rencontre Carlos Diaz qui créait alors Kwarter. Il débute par un stage puis obtient un contrat, avant d’être recruté par Uber où il travaille depuis deux ans. « J’y fais du développement sur l’application conducteur et suis aujourd’hui Tech Lead, c’est-à-dire que j’assiste les ingénieurs de notre équipe de quatre développeurs. »
Emilien Stremsdoerfer
Après un premier tour de candidatures depuis la France, Emilien relance les entreprises contactées dans la Silicon Valley à l’occasion d’un séjour à San Francisco et décroche aussitôt plusieurs entretiens. Il opte pour une start-up qui se consacre au développement d’une appli de dating pour lesbiennes. Enthousiaste lorsqu’il évoque sa vie professionnelle comme sa qualité de vie et son environnement au quotidien, il aspire à prolonger son expérience américaine.

Enquête réalisée par Françoise Payen

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La Silicon Valley vent debout contre Donald Trump

Crédit photo : ario_ via VisualHunt.com / CC BY-NC-SA pour la photo de une ; photos portrait de Françoise Payen.

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