Tara Hunt: 'Pourquoi « Whuffie » dans l'e-marketing 2.0' ?

L’égérie du ‘Pinko marketing’ et des ‘Barcamps’ nous dévoile les dessous du facteur Whuffie, thèse de son nouvel ouvrage.

Tara Hunt: c’est un nom de star dans le microcosme des médias sociaux (alias web 2.0). Tout marketeur professionnel aguerri a entendu parler de ses tentatives antérieures de promotion d’une nouvelle philosophie du marketing, intitulée Pinko marketing, un courant qui suivait celui des auteurs du ‘Cluetrain Manifesto‘, à la fin des années 1990. Son implication dans le mouvement des ‘Barcamps‘ (forums collaboratifs du Web dont il existe des déclinaisons dans le monde entier) ou du « coworking » (espaces de travail partagés) ne l’a pas empêchée de s’investir dans un nouvel ouvrage intitulé – bizarrement – le « facteur Whuffie » (The « Whuffie Factor »). le livre étant désormais disponible en anglais, nous avons demandé à Tara, en exclusivité, de nous dire ce qui se trame dans son nouvel ouvrage

Silicon.fr : Tara, j’ai aperçu un message dans Twitter et j’ai lu aussi sur votre ‘blog’ que vous prépariez un nouveau livre « The Whuffie Factor ». Pourquoi ce nom, et quel est le message ?

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TH : c’est le résultat d’un long processus d’évolution initié par mon éditeur. Le titre de l’ouvrage au départ était « Comment devenir un capitaliste social ? Faites du business avec les communautés en ligne« . L’éditeur a trouvé l’évocation du « capital social » trop vague et qu’on pouvait lui faire dire ce qu’on voulait. C’est alors que je lui ai raconté l’histoire du »Whuffie », issu du livre de l’auteur de science-fiction Cory Doctorow. John Mahoney, un des représentants de l’éditeur, a donc fait tourner la suggestion et a trouvé que beaucoup de gens réagissaient bien à ce terme. D’abord, ça les faisait rire, puis une fois le terme explicité, ils le retenaient facilement.

En toute simplicité, le « facteur Whuffie » signifie qu’il faut accorder une attention toute particulière à ses incursions dans les communautés en ligne.

Et quel est le rapport entre médias sociaux et le marketing?

TH : Ce qu’il faut absolument saisir, c’est que dans « médias sociaux » il y a le mot « social ». Ni Facebook, ni Twitter, ni Flickr ne furent conçus comme un des plates-formes destinées à vendre la soupe des entreprises, mais comme des plate-formes dédiées aux interactions humaines : conversations, mises en relation, confiance, entraide, etc., sont les valeurs fondatrices de ces plates-formes.

Le « facteur Whuffie », c’est en quelque sorte l’indicateur de votre réussite dans ce milieu nouveau des médias sociaux. Quant à l’aspect « marketing », il viendra naturellement s’intercaler dans ce processus car, dans les communautés, les membres aiment à débattre de leur vie quotidienne, et ils recherchent également des conseils d’achat de la part de leur cercle rapproché d’amis en qui ils ont confiance. Si vous avez bâti de tels cercles relationnels sur la confiance, alors vous êtes en bonne voie. Tout le livre se propose de vous aider à atteindre ce niveau.

Avant de rentrer dans le détail des médias sociaux, pouvez-vous nous expliquer pourquoi les entreprises doivent changer leur façon de faire du marketing ?

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TH : tout cela n’est pas nouveau, en somme, il y a belle lurette que l’Internet est au centre des conversations si je ne m’abuse ;-) mais certaines des voies traditionnelles ouvertes par l’Internet commencent à donner des signes de fatigue. Quelques études fort bien faites ont montré récemment que les recommandations par bouche-à-oreille entre amis et gens se ressemblant par leurs profils prenait de l’ampleur. De ce fait, les techniques de marketing traditionnel (bannières, search marketing, etc.) font passer leurs clients à côté de grandes opportunités.

Les médias sociaux peuvent donc nous aider à saisir cette opportunité de promouvoir produits et services différemment. Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?

TH : Mettons le terme de « marketing » de côté pour commencer. Et même le terme de « médias sociaux » est d’ailleurs impropre à donner une idée fidèle des échanges extraordinaires que je vis en ligne. Avant l’avènement des communautés en ligne à chaque fois que je rencontrais des amis, je me disais pas « tiens, on va se faire un face-à-face social ». La façon dont je peux aider les marketeurs, c’est en leur demandant d’enlever leur casquette de marketeur et de la remplacer par celle de leurs clients. Quand on est avec des amis, de quoi parle-t-on ? On est ouvert et honnête avec eux – j’en fais l’hypothèse – on partage les choses avec eux. On échange sur nos vies privées, on anticipe leurs besoins de telle façon qu’on les conseille comme des amis. Et… lorsque le moment s’y prête… on peut s’entraider. Tout ça, ce ne sont que des outils plus sophistiqués qui rendent possibles les échanges sur des échelles plus grandes. Voilà tout.

Donc, les médias sociaux ne sont pas qu’un jouet pour techniciens, mais aussi un outil sérieux pour hommes d’affaire sérieux. Doit-on en déduire que le rôle de « Community manager » est le job du futur?

TH : Pour le coup, je suis divisée à ce sujet. D’un côté, la création du poste assure de l’intérêt porté au sujet. C’est comme si on envoyait un message de style : « les communautés, c’est important, regardez, nous avons même payé un employé pour s’en occuper ». Par ailleurs cependant, en confiant ce rôle à une seule personne, une entreprise passe à côté de beaucoup d’occasions d’échanges multiples entre clients et entreprises ».

Devrions-nous changer nos prix et les exprimer non plus en dollars ni en euro mais en « Whuffies » ?

TH : N’allons pas jusque là ! Et n’attendons pas de révolution à court terme, Cory Doctorow, qui a inventé le terme, nous a averti du danger inhérent à la mesure du « Whuffie », dans son livre Down and Out In the Magic Kindom. Le principal problème c’est que quand on mesure le « Whuffie » celui-ci devient totalement échangeable.

Et si vous aviez juste un conseil à donner à nos lecteurs pour qu’ils réussissent à monter dans l’échelle du « Whuffie factor » ?

TH : Alors je leur dirais : imaginez-vous dans une fête. Comment faire pour rencontrer des gens et vous faire des amis ? Allez-vous rentrer dans le jeu sans discernement et juste tourner les talons dès que vous avez obtenu ce que vous voulez ? Au contraire, vous allez progressivement vous intégrer à la discussion, en écoutant les gens, en intervenant lorsque vous avez une chose importante à dire, et en vous intéressant aux autres, voire même en échangeant des plaisanteries avec eux sur un ton léger ? La deuxième méthode paraît plus plausible n’est-ce pas ? Voilà donc exactement comment il faut aborder les communautés en ligne si vous voulez faire progresser votre « facteur whuffie » !

(*) https://blogs.orange-business.com

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Crédit photo Lane Hartwell; tous droits réservés