TRIBUNE : Mais où donc veut aller Microsoft en menaçant la communauté du ‘Libre’ ?

Nouveau coup de gueule du géant du logiciel: tentative d’intimidation?
Opération marketing extrême ou menace mûrement visant le monde Linux ou celui du
 » libre »? L’attitude de Microsoft laisse perplexe

Microsoft revient à la charge, on ne sait trop pourquoi. Le géant de Redmond menace de poursuivre les développeurs et utilisateurs de Linux et de logiciels ‘open source’ pour violation de 235 brevets. Face à la menace qui pèse sur elle – sous la législation américaine, mais les répercussions pourraient être planétaires – la communauté du libre reste étonnement silencieuse. La situation nous laisse perplexes?

La vraie question n’est pas de savoir si Microsoft a les moyens de s’attaquer à la communauté du libre. Les dérives de l’administration américaine en matière de brevets associées aux ramifications profondes des technologies informatiques donnent très certainement à Microsoft suffisamment d’arguments pour qu’il puisse mettre sa menace à exécution, et très certainement gagner sur la plupart des points mis en cause.

La vraie question est: quel prix Microsoft est-il prêt à payer pour attaquer la communauté du ‘Libre ?

D’ailleurs, l’interrogation des acteurs de la communauté ne concerne pas tant la vraie menace qivise pas tant le danger que représente la menace Microsoft que sur ses motivations et sa stratégie pour faire face à un environnement qui ne cesse de gagner du terrain.

Trois scénarios dominent actuellement pour expliquer la menace que Microsoft veut faire peser :

– imposer sa vision de l’informatique propriétaire en pointant le danger et les risques que prennent les entreprises en adoptant Linux et des solutions open source ;

– éviter un discours controversé qu’il est tenté de donner aux entreprises qui adoptent Linux, Firefox ou Open Office (Non, c’est pas bien ?) au risque de heurter les décideurs, en déplaçant le discours sur les brevets ;

– faire peur aux tenanciers des bourses des entreprises avec une stratégie officiellement orientée grand comptes (sous quelles conditions ?) qui aurait pour effet secondaire recherché de reporter la menace sur les PME (si vous adoptez du ‘libre’, il faudra passer à la caisse !).

On le voit, ces analyses sont très ‘américaines’ ! Rappelons cependant que les Etats-Unis ne sont qu’un immense contentieux potentiel, où tout et n’importe quoi/qui peut servir de base à faire un procès à l’issue incertaine. La peur du procès y est une menace aussi forte que la menace du gendarme !

Microsoft aurait donc pu orchestrer cette campagne dans le seul but de s’offrir une publicité et des interviews au moindre coût? Ce qui explique sans doute pourquoi la communauté du libre hors des Etats-Unis adopte vis-à-vis de cette affaire une attitude plutôt attentiste.

Vraiment ?

S’il est une chose sur laquelle les rares analystes se retrouvent, c’est la hauteur du risque. Si Microsoft choisit d’aller jusqu’aux procès, ce sera une autre affaire que SCO qui poursuit IBM pour emprunt des questions de copyright sur Unix. Car le monde du libre pourrait bien s’obscurcir et l’adoption de Linux et des solutions open source rencontrer un sérieux coup de frein.

Sauf que Microsoft va devoir prendre en compte un écosystème dont on mesure mal la profondeur, car les solutions ‘open source‘ ont déjà conquis de nombreuses grandes entreprises qui ne sont pas prêtes à relâcher du terrain au profit de solutions propriétaires.

Surtout, le succès de Linux a engagé le marché dans une voie que Microsoft ne pourra inverser, celle de la réduction des coûts. Une sacrée entaille dans le modèle des licences de l’éditeur. Surtout qu’il s’accompagne d’une règle de transmission ? l’utilisateur n’est pas propriétaire de la licence publique et ses contributions doivent être reversées et donc accessibles gratuitement à la communauté ? particulièrement attractive. Et que Microsoft menace frontalement.

L’éditeur est bien évidemment conscient du chemin qu’il lui reste à parcourir pour séduire la communauté. Il promet l’interopérabilité, joue sur l’ouverture par bouts de codes, saupoudre son offre de poussières d’open source?, pardon, de licences ouvertes et de standards du marché.

Et n’oublions pas qu’en admettant qu’il obtienne par la force de la Justice l’interdiction de l’usage de ses technologies, la communauté ne manquera pas de les redévelopper avec du code alternatif. A moins que cette même Justice américaine n’invalide lesdits brevets, une éventualité qui n’a rien d’improbable.

La conclusion s’impose donc d’elle-même, Microsoft dispose des moyens pour s’attaquer à la communauté mais risque d’y perdre gros. Et malgré cela le monde du libre poursuivra sur sa lancée, sur une voie que l’éditeur ne pourra éviter.

Mais surtout, Microsoft doit prendre le délicat virage de la virtualisation du monde matériel et des services web. Un monde qui lui échappe en partie et qu’il est encore loin de dominer. Un monde qui annonce la fin du modèle des licences au profit de l’abonnement. Toute une culture à revoir pour le géant du logiciel !

Lancer une guerre des brevets pourrait bien se résumer à un combat d’arrière garde. Microsoft pourrait finir par le gagner, mais à quel prix ? Il ne reste donc plus qu’à attendre la suite des évènements. Et s’il ne s’agissait que d’un coup de bluff? L’éditeur y perdrait en crédibilité.