Yalta des mobiles : les 3 opérateurs re-condamnés en appel réagissent

Malgré leurs réactions (« non coupables… »), Bouygues Telecom, Orange et SFR
devront bel et bien payer l’amende record de 534 millions d’euros infligée pour
entente illicite

Ils le prennent mal, mais la messe est dite. Après que la cour d’appel de Paris a confirmé ce mardi 12 décembre la condamnation infligée il y a un an par le Conseil de la concurrence pour entente entre les trois opérateurs mobiles français, ces derniers tentent encore de minimiser ou de se disculper.

Le 1er décembre 2005, le Conseil de la concurrence avait infligé aux trois opérateurs une amende record de 534 millions d’euros au total pour « entente ». Les trois condamnés avaient décidé de faire appel de cette décision. En vain.

Orange, filiale mobile de France Télécom, avait été condamnée à une amende de 256 millions d’euros, tandis que SFR (Vivendi Universal et Vodafone) devra verser 220 millions. Bouygues Telecom, filiale du groupe Bouygues, avait été condamnée à verser 58 millions d’euros.

France Télécom et Bouygues Telecom ont dit prendre acte de la décision, le second précisant qu’il déciderait en temps utile de l’éventualité d’un pourvoi en cassation. SFR regrette que ses arguments n’aient pas été entendus.

« Par deux fois, le Conseil de la concurrence et la cour d’appel de Paris ont retenu que les pratiques des opérateurs de téléphonie mobile étaient anticoncurrentielles, que les échanges d’informations secrets et confidentiels avaient faussé le jeu de la concurrence et que les opérateurs s’étaient entendus pour geler leurs parts de marché entre eux », a déclaré de son côté Jean-Louis Fourgoux, avocat de l’UFC-Que Choisir.

« Cette décision, pour satisfaisante qu’elle soit, ne permet cependant pas l’indemnisation de l’ensemble des victimes de ces pratiques, ni de rétablir la concurrence dans ce secteur », a regretté l’UFC-Que Choisir dans un communiqué.

Preuves

La cour d’appel condamne donc les méthodes douteuses des opérateurs visant à vérrouiller leurs parts de marché. Rappel des faits.

Le 24 août 2005, Le Canard Enchaîné publie un rapport confidentiel de la Direction de la Concurrence qui donne les preuves d’une entente entre Bouygues Telecom, Orange et SFR. Ce rapport, qui date de mai 2004 révèle  » un accord occulte sur une longue période qui vise à geler les parts de marché vis-à-vis des nouveaux clients afin d’aboutir à une très forte inertie des parts de marché ». Conclusion de la DGCCRF: un tel accord a permis à Bouygues Telecom, Orange et SFR de surperformer financièrement pendant la période.

Rappelons qu’Orange et SFR se partagent plus de 80% du marché depuis de longues années. La Direction de la Concurrence donne des preuves. Des pièces et documents ont été saisis lors de perquisitions chez les opérateurs en 2003. Des documents encore une fois accablants. Une note de 2001 de SFR indique ainsi: « Michel Bon [président de France Télécom à l’époque] est OK pour reconduire l’accord parts de marché de 2000 ». On peut également lire dans une note de France Télécom: « Il faut que Bouygues remonte à 20% de parts de marché « .

Visiblement, l’entente était très bien organisée. Le Conseil évoque aussi deux notes manuscrites de M. Quillot, directeur général d’Orange dont l’une en date du comité exécutif du 28 octobre, dans lesquelles il évoque un « Yalta PDM (parts de marché) ». En effet, les trois opérateurs avaient convenu d’un rendez-vous secret mensuel afin de « d’adapter rapidement leur stratégie commerciale à l’évolution du marché ».

Selon le rapport, ce petit manège aurait débuté en 1997 (!), lorsque le marché a commencé à décoller. Ces réunions ont été stoppées en 2003, les opérateurs sentant le vent tourner après les perquisitions de la DGCCRF.

Le 1er décembre 2005, le Conseil de la concurrence, saisi par des associations de consommateurs, inflige donc cette amende record. Il a estimé que ces pratiques étaient « particulièrement graves » et ont entraîné  » un dommage à l’économie très important » ajoutant que cette situation a facilité un relèvement des prix et « l’adoption de mesures défavorables au consommateur ».

Très vite, les opérateurs nient en bloc et font appel. Orange parle d’accusations « irréalistes » tandis que SFR se dit « profondément choqué » par la sanction qui est « infondée et ne correspond pas à la réalité des faits ».

Les trois opérateurs reconnaissent avoir échangé des informations, mais ils nient toute manipulation du marché. Ils soulignent que, entre 1998 et 2002, le prix à la minute n’a cessé de baisser. SFR souligne ainsi que la baisse de 18% du prix des appels entre 2000 et 2003 est la plus forte baisse enregistrée dans les pays comparables de l’Union Européenne.

Réparation pour les abonnés

Dans le même temps, l’UFC Que Choisir, à l’origine de la plainte contre les trois opérateurs mobiles, saisit la justice. L’association a introduit une procédure devant trois tribunaux d’instance contre les trois opérateurs mobiles français, afin de demander réparation pour les consommateurs. Car l’amende record ira dans les caisses de l’Etat.

L’UFC estime que désormais, ce sont aux consommateurs d’être dédommagés, le préjudice global serait de 1,2 à 1,6 milliard d’euros. L’UFC aurait préféré mettre en place une ‘class-action’ qui lui aurait permis d’agir au nom de tous les plaignants. Mais cette procédure n’existe pas encore dans le droit français. Alors il a fallu recueillir une par une les demandes d’indemnisation qui seront examinées une par une par le tribunal…

En octobre dernier, elle annonçait avoir déposé pas moins de 12.500 plaintes de clients abonnés. L’addition sera salée pour pour les opérateurs: les consommateurs demandent 750.000 euros de dommages et intérêts, soit 60 euros par abonné lésé.

Au-delà des amendes, cette affaire a et va profondément écorner l’image des opérateurs comme le souligne le cabinet d’analyses Ovum qui évoque une perte importante de crédibilité. Même s’il semble clair que les trois opérateurs ne s’échangent plus d’informations, le marché est encore loin d’être concurrentiel malgré l’arrivée des MVNO. L’UFC évoque même encore aujourd’hui « une parodie de concurrence ».