Brevet unitaire européen : l’industrie IT craint l’invasion des « patents trolls »

Huawei et ZTE dans le collimateur de l'Union européenne

De Google à Cisco, des géants de l’IT exhortent l’UE à limiter les risques d’accélération du phénomène des « trolls de brevets » en modifiant son projet de brevet unitaire.

Le brevet unitaire européen, qui vise à assurer une protection uniforme des inventions dans les États membres de l’UE sur la base d’un guichet unique, inquiète l’industrie IT soucieuse de lutter contre les « trolls de brevets », rapporte le New York Times.

Dans une lettre datée du 26 septembre, seize organisations et entreprises de la filière IT, dont Apple, Bull, Cisco, Google, HP, Intel, Microsoft et Samsung, interpellent les États membres, les députés européens, la Commission européenne et la Juridiction unifiée des brevets.

La peur des « patent trolls »

Les industriels craignent que le « paquet brevet » adopté en décembre 2012, pour une mise œuvre en 2015, offre une plus grande marge de manœuvre aux « patent trolls » ces entreprises ou organisations pour lesquelles les brevets, de la concession de licences à l’action en justice, constituent la principale activité lucrative.

Aujourd’hui dans l’UE, le titulaire d’un brevet doit engager une procédure devant la juridiction compétente de chacun des 28 États membres où son brevet a été validé. Dès l’entrée en vigueur du nouveau régime, le 1er janvier 2014 en théorie, il pourra s’adresser à la Juridiction unifiée pour bénéficier d’une protection dans les États signataires de l’accord, 25 à ce jour.

Le siège de la Juridiction unifiée (cour européenne des brevets) sera établi à Paris, avec deux antennes à Londres et Munich. Dans leur lettre, les « investisseurs et utilisateurs du système européen de brevets » estiment que le nouveau régime risque de créer des « opportunités significatives d’abus ».

À leurs yeux, différents tribunaux pourraient être appelés à se prononcer sur un même cas et rendre des décisions contradictoires. Ainsi, « des plaignants peu scrupuleux pourraient obtenir des redevances substantielles d’entreprises européennes ou non, en s’appuyant sur des brevets de faible qualité ou potentiellement invalides ».

La vigilance s’impose

De hauts responsables européens en charge de l’élaboration du nouveau système se sont déclarés « à l’écoute des préoccupations de l’industrie ». Ils ont souligné qu’un même tribunal disposera des informations nécessaires pour se prononcer en toute connaissance de cause sur les problématiques de validité et de violation de brevets. L’Europe, ont-ils indiqué, veut ainsi encourager l’innovation et l’investissement.

De leur côté, les industriels rompus au lobbying recommandent de modifier certaines propositions du comité préparatoire chargé du dossier. Il s’agit de mettre en œuvre un « système de brevet unitaire efficace et équilibré » qui permette de « réduire les coûts d’obtention d’une protection par brevet, accroître la compétitivité européenne et soutenir la croissance à long terme des industries innovantes en Europe et à l’étranger ».

En France, l’industrie numérique reste prudente. « Le brevet unitaire européen représente une formidable opportunité en particulier pour les PME qui souhaitent contrôler leur propriété intellectuelle à un faible coût. Mais nous faisons valoir, dans le cadre de la consultation européenne en cours, qu’il pourrait aussi bien constituer un appel d’air pour le phénomène des patents trolls qui s’est développé aux États-Unis, en suscitant un marché unifié des contentieux de la propriété intellectuelle », explique à la rédaction Loïc Rivière, délégué général de l’Afdel..

L’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet, qui compte Microsoft France et Google parmi ses membres, appelle donc « à une grande vigilance dans les solutions retenues, en particulier la maîtrise du coût des procédures, pour dissuader l’émergence de telles pratiques ».

En décembre dernier, plusieurs grands groupes européens s’inquiétaient déjà des dérives possibles du système de brevet unitaire. Ericsson, Nokia et le groupe de défense BAE Systems avaient pris la plume pour écrire au Parlement européen afin de dénoncer le texte. Si les trois géants européens sont favorables au principe du brevet unique, ils dénonçaient l’article 5a du dernier texte, synonyme selon eux de porte ouverte aux « trolls ».

Le phénomène des trolls pollue depuis des années la vie économique aux États-Unis, notamment dans le secteur IT. Deux chercheurs de l’Université de Boston ont estimé, dans une étude récente, que le phénomène était la cause de 29 milliards de dollars de coûts directs en 2011 pour les quelque 5 800 entreprises attaquées ou menacées. Les chercheurs indiquent que la plupart des firmes attaquées par ces trolls ne sont pas des grands groupes, mais plutôt des PME ou des entreprises de taille intermédiaire.

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