Implantation de datacenters : la France est-elle un repoussoir ?

Pour l’ouverture de sa 3ème région en Europe, le leader du Cloud Amazon snobe encore la France. Quels facteurs expliquent ce qui ressemble de plus en plus à une stratégie d’évitement de l’Hexagone par les grands du Cloud ? La lourdeur administrative, qu’illustre la récente affaire Interxion, est l’un d’entre eux. Mais pas le seul.

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Selon le cabinet Synergy, les grands du Cloud choisissent la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou les Pays-Bas. Le France est créditée d’un petit 1 %.

Le leader du Cloud public, Amazon Web Services (AWS), ouvre une troisième ‘région’ – soit un ensemble de ressources fournies par un ou plusieurs datacenters – en Europe. Et, après Dublin et Francfort, AWS a choisi de s’installer en Grande-Bretagne. Ouverture prévue fin 2016 ou début 2017, selon Werner Vogels, le directeur technique d’Amazon. Ce nouveau choix illustre, si besoin en était, la propension des grands noms du Cloud à éviter… la France. A ce jour, seul Salesforce a annoncé son intention d’ouvrir un datacenter dans l’Hexagone : selon nos confrères du MagIT, ce sera chose faite à la fin du premier semestre 2016.

Nul doute que le bruit médiatique qui a entouré la récente affaire qui a touché Interxion, un collectif de riverains ayant obtenu l’annulation de l’arrêté d’exploitation d’un des datacenters de l’industriel à la Courneuve, n’est pas là pour inverser cette propension des acteurs du Cloud à contourner l’Hexagone. Même si ce dernier occupe une place centrale en Europe.

La faute aux délais administratifs ?

Pour Philippe Luce, le trésorier du Cesit (Comité des exploitants de salles informatiques et télécom), cette affaire illustre « une fois de plus la complexité du maquis administratif français ». Et de dénoncer le procès fait aux datacenters, à l’occasion de cette affaire : « Avant, le terrain de la rue Rateau où est installé Interxion à La Courneuve n’était qu’une vaste friche. Aujourd’hui, on y trouve un datacenter, qui est le bâtiment construit par l’homme qui concentre le plus de valeur ajoutée au mètre carré. Son fonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 signifie que chaque poste créé se traduit par cinq emplois. Par ailleurs, ces installations sont aussi – et même surtout – de gros créateurs d’emplois indirects. »

Si l’affaire Interxion relève d’un cas d’espèce administratif, comme l’indique Philippe Luce, elle permet de mettre en lumière ce qu’il présente comme la complexité administrative française : « En France, il faut un permis spécifique, dont l’obtention demande 6 mois dans un cycle normal. Contrairement à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne. Et les délais de recours sont aussi bien plus longs que dans d’autres pays européens. Sans parler des normes anti-bruit, anti-incendie ou relatives à la sécurité des personnes. » Bref, selon lui, ces contraintes légales, administratives et juridiques freinent la France sur ce terrain. « Si une question administrative fait perdre 4 mois à un industriel en France, c’est autant de temps perdu avant que son investissement d’une centaine de millions ne lui rapporte », ajoute Philippe Luce, qui explique avoir connaissance de dossiers dans lequel l’option offerte par l’Hexagone a été écartée car l’équipement ne pouvait y être prêt à temps. « Et on parle là d’investissements se chiffrant en centaines de millions d’euros », précise le trésorier du Cesit.

3 décibels de plus la nuit

Dirigeant d’APL, société spécialisée dans la réalisation de centres informatiques et notamment dans le conseil en amont, Christophe Weiss se montre moins pessimiste : « Les hébergeurs internationaux se plaignent de la rigueur de l’administration française. Mais nous pensons que c’est un faux problème. » Selon lui, même dans le cas de grosses installations, le processus administratif demande entre 8 et 18 mois. « Or, un projet de construction de datacenter s’étale sur 24 à 36 mois », reprend Christophe Weiss. Autrement dit, insérer l’instruction du dossier administratif dans le processus de construction global sans pénaliser le calendrier de ce dernier serait tout à fait possible.

Dans le détail, la rigueur de l’administration française dans l’examen des nouvelles installations se cache derrière le régime de déclaration ou d’autorisation ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement). En dessous d’une certaine puissance du site, les exploitants peuvent se contenter d’une simple déclaration. Mais, au-dessus de ce seuil, il leur faut demander une autorisation : déposé en même temps que le permis de construire, le dossier ICPE, qui comprend alors une étude d’impact et de dangers, est dans ce cas instruit notamment par la Préfecture et les pompiers, qui peuvent formuler des réserves.

Sur les nuisances sonores – le point qui a conduit le tribunal administratif de Montreuil à annuler l’autorisation d’exploitation d’Interxion – « la loi est très claire, assure Christophe Weiss. Sur la base de mesures effectuées avant la construction, l’exploitant doit s’assurer de ne pas dépasser, en limite de propriété, les limites de 5 décibels en plus le jour et de 3 décibels la nuit. » APL explique faire intervenir systématiquement un huissier et un expert acoustique : « Il faut prendre date avec des mesures non contestables, sinon on peut aboutir à une situation catastrophique, avertit Christophe Weiss. 3 décibels de plus en limite de propriété, cela signifie que l’installation doit être inaudible par les voisins. Techniquement, en acoustique, c’est tout à fait faisable, mais il faut investir sur le sujet. »

Interxion : l’affaire n’est pas finie

Pour le directeur général d’APL, malgré sa rigidité, le mécanisme des autorisations ICPE n’est pas le frein principal à l’implantation dans l’Hexagone. « Pour les acteurs internationaux, je pense que leur frilosité est plutôt liée à l’image sclérosée que véhicule la France, à son manque de stabilité sociale et réglementaire. » Et de pointer l’absence d’un guichet unique permettant d’accueillir ces acteurs, de leur trouver les terrains adéquats, de leur garantir un prix d’électricité stable sur 5 à 10 ans. « L’Etat français ne met pas les moyens pour attirer ces acteurs, y compris en termes d’avantages fiscaux », résume Christophe Weiss.

Et les futurs rebondissements de l’affaire Interxion ne risquent guère de redorer le blason hexagonal. Car, en l’état, l’exploitant ne dispose que d’une autorisation d’exploitation provisoire et a quatre mois devant lui pour régulariser sa situation, autrement dit pour déposer un nouveau dossier d’autorisation comprenant une enquête plus approfondie sur les nuisances sonores. Un retour à la case départ qui ne risque guère de susciter des vocations. D’autant que le collectif de riverains du datacenter, Urbaxion 93, reste déterminé à contester l’exploitation en l’état de l’installation, comme nous l’a confirmé Roxane Sageloli, l’avocate du Cabinet Huglo-Lepage et Associés qui défend le collectif.

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