Alexandre Nicaise, Alphalink : « Le FTTH n’est pas un produit miracle pour l’entreprise »

Pour le PDG de l’opérateur d’opérateur Alphalink, le manque de fiabilité du FTTH ne répond pas aux besoins télécoms des entreprises. Et pointe du doigt le nouveau risque de préemption de l’offre fibre professionnelle par Orange et SFR.

Créé en 1999, Alphalink est un opérateur d’opérateurs capable de proposer une solution globale à ses partenaires opérateurs virtuels (accès mobile, fixe, téléphonie et data, solutions d’hébergement et services Cloud). L’entreprise accompagne ses clients sur l’ensemble du périmètre métier d’opérateur, de la définition de solutions techniques et commerciales jusqu’aux problématiques juridiques en passant par la mise en place du système d’information. Outre le marché du wholesale, Alphalink propose une offre en marque blanche (via la structure Dimension Telecom) pour les organisations IT non spécialisées dans les télécoms mais qui incubent une offre télécom dans leur portefeuille. Alphalink compte aujourd’hui plus de 300 clients aujourd’hui (une quarantaine en 2006) servi par une centaine de salariés. Son PDG, Alexandre Nicaise, partage, pour Silicon.fr, son analyse sur l’évolution du déploiement de la fibre pour les PME en quête de très haut débit.

Silicon.fr – Comment Alphalink aborde le déploiement de la fibre pour les entreprises ?

Alexandre Nicaise : Alphalink a entrepris depuis un an un raccordement systématique des réseaux d’initiative publique (RIP) et délégations de service public (DSP) qui proposent du FTTH. On va chercher ces opérateurs de boucle locale que l’on raccorde à notre backbone via une vingtaine de PoP en France pour promouvoir leurs offres auprès de nos partenaires opérateurs virtuels. Nous avons l’ambition de raccorder plus de 50 DSP en 2016.

Alexandre Nicaise, PDG d'Alphalink
Alexandre Nicaise, PDG d’Alphalink

La fibre est-elle indispensable aujourd’hui pour les entreprises ?

Il y a plusieurs réponses à cette question. D’abord, il y a une volonté des pouvoirs publics d’emmener les entreprises sur des notions de télé-déclaration pour réduire les coûts des services administratifs (impôts, URSSAF, RSI…). Ce qui entraine des enjeux de qualité et fiabilité de service. Ensuite, les entreprises ont un modèle d’affaire de plus en plus digitalisé dans leurs relations avec les fournisseurs et les clients, qui passe par un dialogue sur des extranets, des webservices ou des notions de commandes en ligne. Donc, le chiffre d’affaires se construit sur des supports numériques où la performance et la fiabilité de l’infrastructure Internet devient un enjeu de business. Enfin, les notions de Cloud et d’externalisation des applications, des services et des données nécessitent des débits plus importants et des notions de fiabilisation.

Le FTTH répond-il à ces enjeux de fiabilisation ?

Le FTTH n’est pas le produit miraculeux que les opérateurs essaient de vendre. Les contrats de services qui les accompagnent suffisent à un particulier mais pas à une entreprise qui appuie son business sur la contractualisation digitale. Si l’infrastructure tombe, l’entreprise perd ses applications, ses données, ses services téléphoniques, donc du chiffre d’affaires, surtout si elle a virtualisé son infrastructure. C’est un problème d’architecture du FTTH et de contrat de service qui n’offre qu’une intervention de rétablissement de service sous 24h là où les offres FTTE (Fiber to the Enterprise) ou FTTB (Fiber to the Building), plus adéquat avec une architecture de bout en bout, proposent des contrats de garantie de service sous 4 heures ou 2 heures. Ce qui est déjà encore extrêmement long pour une entreprise qui a une activité au fil de l’eau avec des flux interactifs.

Où en est la couverture du pays aujourd’hui pour les entreprises ?

Elle progresse via les efforts des collectivités et des pouvoirs publics indéniablement même si, en tant qu’industriels, nous souhaiterions que ça avance plus vite. Mais il ne faut pas sacrifier la qualité au prix. On est vraiment sur des infrastructures de plus en plus sensibles au cœur des entreprises et à force de vouloir forcément réduire toujours plus les coûts, les opérateurs sont contraints de baisser la qualité de service. Je pense que c’est la vraie erreur qui nous fait peur aujourd’hui sur ce marché. Les pouvoirs publics affichent une volonté de réduire les coûts d’accès à la fibre pour les entreprises en pensant que c’est le frein au développement des infrastructures. Chez Alphalink, on pense qu’il faut arriver à un coût économiquement équitable et équilibré pour permettre aux opérateurs de continuer le déploiement du FTTH et du FTTE tout en maintenant un niveau qualité de service acceptable. J’insiste mais l’infrastructure télécom est devenue le poumon économique de l’entreprise, elle lui est vitale.

Orange et SFR partagent-ils cette vision pour couvrir le marché des entreprises ?

Les opérateurs nationaux Orange et SFR ont des stratégies orientées très grand public pour le FTTH. On commence à voir apparaître des programmes FTTE mais cela reste très timide. Il y a clairement très peu d’empressement de leur part. Ils ont une posture qui laisse transparaître une volonté de se garder le marché de gros pour atteindre les entreprises plus tard. On pense maintenant qu’il est plus qu’urgent que SFR et Orange donnent accès à leur réseau aux autres opérateurs. Les réseaux sont déployés, il ne manque qu’une volonté politique.

L’Arcep travaille sur une architecture universelle de réseau en fibre optique, permettant l’émergence d’un marché de masse de la fibre pour les PME. Qu’en attendez-vous ?

C’est un vrai sujet en lui-même. Alphalink est rentré dans une logique d’agrégation où l’on raccorde ces initiatives locales de RIP/DSP pour les mettre à disposition du marché. On peut donc supposer logique d’interconnecter tous ces réseaux. Mais il ne faut pas alors retomber dans un travers où l’on va confier à un opérateur, ou à une sorte de conglomérat, l’ensemble de l’agrégation de ces réseaux car il faut laisser la concurrence s’exprimer et permettre au consommateur d’en bénéficier. On en sort avec le cuivre et on s’aperçoit au bout du compte que les opérateurs alternatifs ont eu beaucoup de mal à pénétrer le marché.

L’avenir est clairement sur la fibre, il y a une vraie bataille économique pour les opérateurs. On comprend qu’Orange et SFR tardent à ouvrir leurs réseaux aux opérateurs car c’est pour eux un moyen de reconquérir à peu de frais des parts de marché. A terme, ça peut être une vraie entrave pour les autres opérateurs alternatifs. Car à part de vagues promesses, à date, on ne voit rien venir, pas de contrat pas de schéma d’architecture, pas de spécification techniques… Je comprends leur position mais in fine c’est le consommateur qui risque de se retrouver avec un marché déséquilibré et une concurrence un peu affaiblie et, en tant qu’industriel, on a intérêt à être sur un marché sain, dynamique.


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