New Space et cybersécurité : Houston, nous avons un problème

Cybersécurité

La cybersécurité est un canal d’exploitation des intentions bienveillantes autant que malveillantes qui alimentent des stratégies géopolitiques, auxquelles s’ajoutent désormais des stratégies que l’on pourrait nommer “géocommerciales”, purement terrestres.

La cybersécurité est devenue un enjeu qui transcende son environnement. Elle concerne à la fois la terre, la mer et le ciel. Ou plutôt, l’espace. L’orbite terrestre s’encombre à la mesure de la démultiplication des acteurs qui s’y pressent, dans une course effrénée vers toujours plus de technologie, toujours plus de cloud, de satellites, de communications. Cette prolifération a deux effets majeurs : elle augmente les points d’accès pour de potentielles cyberattaques, mais elle renvoie aussi l’espace à sa dimension purement matérielle.

Posée en préambule de cet article, la bonne question serait alors : Houston, avons-nous deux problèmes ?

De l’exploration à l’exploitation

L’être humain explore l’espace comme il a exploré la terre et la mer avant lui. La dimension d’exploration est à la base de toute aventure, de toute expédition, mais elle est vite agrémentée, voire toujours sous-tendue (pour ne pas dire remplacée par) des enjeux économiques et marchands.

Aux 15 et 16ème siècle, par exemple, les explorations maritimes qui ont permis la cartographie et l’exploitation du monde ont été financées par les monarchies européennes (principalement espagnoles et portugaises) et de riches compagnies commerciales trouvant dans ces “grandes découvertes” l’occasion de gigantesques retours sur investissement. La logique du capitalisme fait que “explorer” et “investir” forment un couple indissociable. Ce sont ces intérêts du même type qui guident une bonne partie de l’envahissement de l’orbite terrestre aujourd’hui, pour le meilleur (réseaux de communication, coopération internationale autour de l’ISS…) et le pire (encombrement, déchets…).

Dans le domaine technologique et informatique, cette exploration a bien sûr permis nombre de progrès, tant scientifiques que techniques, qui sont toujours allés de pair avec l’exploitation des ressources et des environnements. La terre comme la mer sont depuis longtemps des espaces utilisés par l’humain pour accroître sa puissance technologique, développer ses infrastructures.

Les différentes orbites exploitables autour de la Terre suivent la même ligne directrice. Alors que le nombre de câbles sous-marins ne cesse d’augmenter, atteignant des vitesses de transmission ahurissantes (400 Tbits/s pour AMITIE, le câble installé par Facebook, Microsoft, Vodafone et Orange entre autres), plus de 2000 satellites sont aujourd’hui dans les cieux, dont plus d’un tiers est dédié aux services de communication.

Exploration d’abord, exploitation ensuite, prolifération enfin. Et à chaque fois la même problématique : la démultiplication des infrastructures spatiales (satellites, sondes, télescopes, objets comprenant des systèmes embarqués…) augmente d’autant les points d’entrées pour d’éventuelles attaques, intensifiant le niveau de risque sur le logiciel comme sur le matériel qui les composent.

De la frontière mentale à la frontière physique…

Ces nouveaux espaces de communication sont de plus en plus habités et donc de plus en plus propices aux attaques. Pour la mer comme pour le spatial, l’éloignement perçu leur a longtemps donné une dimension presque abstraite, ou a tout du moins fait que nous les considérions comme un terrain de jeu suffisamment vaste pour échapper aux considérations physiques et matérielles. L’avènement de la conquête spatiale “économique”, et la prolifération d’acteurs privés qui l’accompagne et l’accélère a donné une dimension très matérielle et physique à la notion de cybersécurité dans l’espace.

Même constat pour les satellites eux-mêmes, qui, par leur nombre, redeviennent des objets susceptibles de s’entrechoquer, d’entrer en collision, de manière très concrète. L’attaque numérique d’un réseau en passant par les communications satellitaires existe toujours, mais l’attaque d’un satellite par un autre satellite offensif ou détourné est tout autant plausible.

Du reste, et même s’il ne s’agissait pas d’une attaque cybercriminelle, la collision d’un vieux télescope spatial et d’un satellite américain hors service, tous deux impossibles à piloter à distance, ne fut évitée que pour une dizaine de mètres… alors qu’ils se croisaient à environ 54 000 km/h. On peut facilement imaginer les dégâts en cascade occasionnés par la puissance d’un tel choc. La cybersécurité reprend ainsi un sens très littéral : ici se jouent la sécurité du matériel autant que celle du réseau informatique.

… et réciproquement

La démultiplication des objets qui envahissent l’orbite terrestre, qu’elle soit haute ou basse, pose aussi une question sur la répartition de cet espace entre ses explorateurs. De fait, la puissance économique et militaire est devenue le principal facteur de droit sur l’espace. Seule une poignée d’acteurs peuvent y participer car la quête est très onéreuse.

Auparavant l’apanage des seules nations, la conquête spatiale est aujourd’hui largement occupée par des acteurs privés très puissants comme SpaceX, la compagnie d’Elon Musk ou Blue Origin, celle de Jeff Bezos, le PDG d’Amazon.

Ce n’est certes pas le cas uniquement dans l’espace, les câbles sous-marins étant souvent, aujourd’hui, le fruit de consortiums privés internationaux, mais c’est encore plus spectaculaire quand on parle de la mise sur orbite. L’argent est ainsi devenu, d’une certaine façon, la frontière réelle de l’exploration. Il est donc également un facteur de surexposition au risque cyber.

Les intérêts qui s’y croisent, et parfois s’y affrontent, ne sont plus seulement géopolitiques, en tout cas plus uniquement à l’échelle des continents ou des nations. Ils sont aussi un terrain de luttes économiques, de concurrence, comme n’importe quel marché. Plus d’enjeux, plus d’acteurs, donc plus de frictions, CQFD.

Le concert des nations n’est donc plus le seul théâtre des puissances qui s’affrontent. Ces acteurs privés qui se mêlent à la conquête spatiale sont autant de superpuissances aux moyens colossaux qui investissent ce champ de développement, creusant toujours un peu plus des écarts abyssaux entre ceux qui y ont un siège et ceux qui sont sur la touche. Or, d’un point de vue de la sécurité, cyber ou non, une telle situation de concurrence exacerbée ne mène pas à la paix. Là encore, l’histoire de l’espèce humaine est riche d’enseignements sur les dangers de la surpuissance sans contrepouvoir, et devrait nous engager à beaucoup plus de prudence.

Plus qu’une nouvelle frontière, l’espace est un environnement qui reflète une extrapolation des enjeux déjà présents et observables sur Terre. C’est donc un nouveau terrain en matière de cybersécurité et de progrès mais aussi de répartition aussi bien des pouvoirs que des richesses qui en découlent.

La cybersécurité est un canal d’exploitation des intentions bienveillantes autant que malveillantes qui alimentent des stratégies géopolitiques, auxquelles s’ajoutent désormais des stratégies que l’on pourrait nommer “géocommerciales”, purement terrestres.

À trop en faire une extension de la Terre, l’espace ne serait-il pas en train de perdre sa dimension la plus incertaine, et donc la plus poétique ? Un débris qui retombe peu à peu dans l’atmosphère terrestre, pour y fondre doucement, ressemble à s’y méprendre à une étoile filante


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VP Security and Compliance
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