DADVSI au Sénat: la revanche des Majors

Les quelques mesures favorables au consommateurs adoptées par les députés ont été balayées par des sénateurs peu enclins à protéger des droits fondamentaux comme l’interopérabilité ou la copie privée

Le long cheminement du projet de loi DADVSI (droits d’auteurs et droits voisins pour la société de l’Information) est quasiment achevé. Après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale en mars, les sénateurs ont à leur tour validé le texte dans la nuit de mercredi à jeudi. Certes, le vote a été serré: le texte a été adopté avec 164 voix pour et 128 contre. L’UMP et une partie du RDSE (radicaux) ont voté pour, le PS, les Verts, le PCF contre, l’UDF s’est abstenue. Mais ce qu’il faut retenir du débat des pensionnaires du Palais du Luxembourg, c’est le tour de vis supplémentaire dans la limitation des droits des consommateurs.

Commençons par ce qui ne change pas. Le Sénat a adopté le régime de sanctions graduées à l’encontre des téléchargeurs illégaux proposé par les députés. Il institue une amende de 38 euros pour l’internaute téléchargeant illégalement, à une peine de 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende pour celui qui commercialise un logiciel destiné au piratage. Un régime plutôt mesuré… Le Sénat a également adopté la pénalisation des éditeurs de logiciels d’échange voulue par les députés qui « puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende le fait de mettre sciemment à la disposition du public ou de communiquer au public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public, non autorisée, d’oeuvres ou d’objets protégés. » Encore une fois, la Représentation nationale semble confondre l’outil et l’usage. Mais la haute assemblée s’est distinguée sur les points fondamentaux de la loi que sont la copie privée et l’interopérabilité. Deux droits pour les consommateurs, mais des droits largement édulcorés par le Sénat. Ce dernier a décidé la mise en place d’une Autorité de régulation des mesures techniques de protection (MTP, verrous informatiques qui remplace le collège des médiateurs voté par les députés. Elle est chargée de réguler l’interopérabilité et de gérer le droit à la copie privée. Cette autorité sera composée de six membres, trois magistrats et trois personnalités qualifiées de la société civile, qui auront un mandat de six ans renouvelable par moitié tous les trois ans. Rappelons que le droit à la copie privé permet à chaque consommateur de copier une oeuvre pour un usage personnel ou familial. Ce droit est financé par une taxe prélevée sur la vente des supports vierges. Mais malgré la création de cette Autorité, le droit à la copie privé, déjà mis à mal par les députés (car il peut être la source de la mise en ligne d’oeuvres protégées) n’a pas été sauvée par les sénateurs. Rien ne garantit en effet que le nombre de copie privée ne soit pas égal à zéro. C’est l’Autorité qui décidera. Certains sénateurs de gauche comme le communiste et ancien ministre Jack Ralite ont déploré cette « mutilation de la copie privée ». Mais pour le gouvernement, le principal est là: le principe de la copie privé est toujours maintenu, même si son exercice sera pour les consommateurs de plus en plus difficile, voire impossible avec la légalisation des verrous techniques et les futures décisions de l’Autorité. Enfin, les sénateurs ont supprimé l’amendement sur l’interopérabilité voulue par les députés. Un des seuls amendements qui profitait directement au consommateur. La capacité de lire un fichier légalement téléchargé sur n’importe quel support a entraîné une levée de boucliers d’Apple, qui a tout de suite compris l’impact d’une telle loi sur sa plate-forme iTunes (lire nos articles). Et malgré les déclarations du ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres qui souhaite « briser l’emprise d’iTunes », les sénateurs semblent avoir cédé aux pressions des industriels. L’Assemblée imposait de fait l’interopérabilité. Le texte revu et corrigé par le Sénat prévoit de confier l’exercice éventuel de ce droit à l’Autorité de régulation. Et les consommateurs ne pourront pas déposer de recours devant elle. Cette autorité « décide des frontières de l’interopérabilité et en même temps en est la gardienne », a critiqué David Assouline (PS). Bref, l’avenir s’assombrit encore un peu plus pour l’internaute et le consommateur. Et c’est une belle victoire pour les Majors du disque et pour les industriels comme Apple. D’autant plus que le projet de loi, voté dans une procédure d’urgence, ne repassera pas en seconde lecture à l’Assemblée. Mais comme les deux textes sont différents, il devra passer en commission mixte paritaire qui devra dégager « une solution médiane ». Avant un examen final par le Conseil constitutionnel.