La Seine-et-Marne fait son haut débit toute seule

Malgré sa proximité avec Paris, des dizaines de milliers de foyers du département étaient quasiment exclus du haut débit. Face à l’immobilisme des opérateurs traditionnels, le Conseil général a pris les choses en main. Résultat, en deux ans, presque 100% des communes sont couvertes grâce aux technologies alternatives comme le WiMax ou le CPL. Reportage

La fracture numérique est toujours là, malgré les propos rassurants du gouvernement ou encore de France Télécom. Et on trouve des exemples à quelques kilomètres de Paris. Prenez le département de la Seine-et-Marne (77) et ses 1,2 million d’habitants. Il représente 50% de l’Ile-de-France et présente une situation paradoxale.

Les zones d’activité comme Marne-la-Vallée sont très bien couvertes en ADSL. La proximité de géants de l’économie y est pour beaucoup. Mais le département est également fortement rural: 80% des communes a moins de 2.000 habitants. Et dans ces zones, l’Internet haut débit est encore un fantasme ! Au mieux, les habitants accèdent à du 512 kb/s, au pire, il n’y a rien: 35.000 à 40.000 foyers sont ainsi exclus du haut débit.. Et ce vide numérique provoque un fort mécontentement. Courriers assassins, impatience des administrés, incompréhension face à la pluie de publicités vantant le 20 Mb/s et le triple-play à 30 euros, de nombreux habitants ont fait pression sur leurs élus. Les options du département étaient alors limitées. Soit attendre que les opérateurs investissent. Mais ces derniers hésitent à venir sur des zones économiquement peu rentables. Ce n’est pas nouveau… 60 millions d’euros La Seine-et-Marne pouvait également signer la fameuse Charte des départements innovants de France Télécom. Mais il semble que les résultats ne soient pas au rendez-vous. « Avec cette Charte, les choses avancent trop doucement », souligne un porte-parole du Conseil général. « Il aurait fallu attendre des années pour obtenir une offre qui aurait été déjà dépassée », poursuit-il. Alors le département a décidé de prendre les choses en main. Seul. En juin 2004, le Conseil général du 77 s’engage à couvrir 100% des communes en haut débit. L’effort est particulièrement concentré sur les 79 communes où moins de 70% de la population a accès au moyen-débit (512 kb/s). Montant de l’investissement: 60 millions d’euros. L’initiative n’a pas plu à France Télécom qui a fait pression pour que le département renonce à cette opération, explique le Conseil. Mais les élus ont persisté. Objectif: aller le plus vite possible et tenter de proposer des prix similaires à tous les habitants, quelle que soit la technologie utilisée. Ce qui a été le cas. Après avoir expérimenté des technologies alternatives, le Conseil général a lancé des appels d’offres afin de trouver des partenaires équipementiers ou opérateurs. Et a pris en charge les frais d’infrastructure et de raccordement afin d’être complètement propriétaire de l’infrastructure. Avec un tel système, les habitants n’ont pas qu’à payer leur abonnement, et rien d’autre. Les choses avancent alors très vite. Un choix de technologies alternatives est validé: le Wi-Fi et le Wi-Max pour les zones rurales et isolées, le CPL (Courant porteur en ligne) pour les zones semi-urbaines. Ainsi, à Aubepierre-Ozouer-le-Repos (873 habitants, voir photo) a été installé par Altitude Télécom un relais WiMax (Alvarion), permettant d’offrir un débit de 1 Mb/s aux habitants. Les raccordements (600 euros pour une antenne pris en charge par le Conseil général) sont récents et la satisfaction se lit sur les visages des administrés. C’est une révolution surtout pour les professionnels comme Lionel Perelli, propriétaire d’un haras. « Avant, pour mon site internet, il m’était impossible d’uploader des photos ou des vidéos, c’était un cauchemar, le 512 de Wanadoo coupait tout le temps. Maintenant, j’ai enfin un outil digne de ce nom. La vitesse est au rendez-vous ». Technologies alternatives L’habitant qui fait le choix de se raccorder paye 39 euros par mois pour un megabit par seconde en symétrique. Il est facturé par Altitude Télécom qui lui même facture le Conseil général. A Vrisenoy (663 habitants), c’est le Wi-Fi qui a été choisi pour couvrir ce hameau. Les antennes placées sur les toits des maisons visent un relais WiMax. Là encore, le changement est brutal puisqu’il y a encore quelques semaines, il n’y avait rien. Ici, le prestataire est Territoires sans fil, il propose deux offres: 1 ou 2 Mb/s à 29,90 euros et 45 euros par mois. Comme ailleurs les frais de raccordement et d’équipements sont pris en charge par le Conseil général. Une aubaine pour les habitants de ce hameau, surtout pour certains professionnels qui travaillent à domicile. Plus près de Paris, la commune de Vert-Saint-Denis (7.677 habitants) était au bord de la crise de nerf, selon son maire Gérard Bernheim. A peine 50% de la population était éligible au 512 et « France Télécom déclarait qu’elle ne pouvait pas faire mieux, notre ville étant située entre deux DSLAM, dans une zone d’ombre », explique-t-il. Dans cette zone semi-urbaine, le choix s’est porté sur le CPL qui fait transiter Internet sur les lignes électriques jusqu’aux domiciles des habitants. Le déploiement a été réalisé par Edev, une filiale d’EDF. En route vers la fibre 2.300 des 2.500 prises de courant présentes dans les foyers sont désormais éligibles au CPL et les raccordements commencent. Là encore, raccordement et équipements (un modem à 100 euros) sont pris en charge par le Conseil. Et les tarifs (le FAI est Territoire sans fil) sont les mêmes qu’à Vrisenoy. « En un an, quasiment 100% de nos communes sont couvertes, notre projet fait figure d’exemple », s’enthousiasme Vincent Elbé, président du Conseil général. D’ailleurs, d’autres Conseil généraux et même certains pays sont venus voir de plus près ce déploiement. Précisions néanmoins que 100% des communes couvertes ne signifie pas 100% des habitations. Et la Seine-et-Marne ne compte pas en rester là. Le Conseil général entend déployer un réseau en fibre optique à l’horizon 2008 (Sem@for 77). Cette boucle devrait compter plusieurs centaines de kilomètres et desservira les principales zones d’activité, les centres universitaires, administratifs, hospitaliers… Preuve que la fracture numérique est loin d’être une fatalité en France.