Philippe Rambach, Chief AI Officer de Schneider Electric : «Un projet d’IA pour la durabilité doit s’analyser sur le plan du ROI»

Schneider Electric multiplie les cas d’usages de l’IA pour prévoir et optimiser la consommation énergétique des immeubles, des entreprises ou des quartiers afin de réduire l’empreinte carbone. Revue de détails avec Philippe Rambach, son Chief AI Officer.

Si l’’IA est montrée du doigt, comme une technologie extrêmement énergivore et émettrice de CO2, elle fait aussi partie des solutions pour réduire la consommation des industries et des villes.

« Lorsqu’on démarre un projet d’IA pour la durabilité, il faut l’analyser sur le plan du ROI : combien de carbone va être émis par l’entraînement et l’exécution des modèles et quel volume de carbone sera épargné. » explique Philippe Rambach, Chief AI Officer de Schneider Electric.

« Aujourd’hui, la réalité est que le ratio va de 1 pour 100 à 1 pour 1 000. Les modèles mis en œuvre n’ont rien à voir avec GPT-4. Ils sont bien plus simples et bien moins coûteux en termes d’empreinte carbone. » précise-t-il.

IA : un gisement de réduction des émissions carbone

Pour autant, l’IA peut-elle réellement faire la différence dans la réduction de l’empreinte carbone des entreprises et des particuliers ? Les chiffres présentés par Philippe Rambach lors de la conférence WAICF ont de quoi surprendre.

En effet, le Schneider Electric Research Institute estime que l’on pourrait réduire de 70% les émissions de CO2 en utilisant les technologies actuelles…

Philippe Rambach, Chief AI Officer de Schneider Electric, lors de son intervention au WAICF 2024 à Cannes © DR

Pour le  » Monsieur IA  » de Schneider Electric, les algorithmes se sont montrer utiles dans trois domaines : « L’IA va intervenir d’une part dans la réduction du besoin d’énergie pour un même niveau de production, va aider à migrer vers l’électricité et enfin faire tomber les barrières au déploiement à l’échelle des énergies renouvelables. »

Et de préciser que  les immeubles intelligents et les usines seront de plus en plus connectés quand  les campus et les quartiers seront gérés en tant que microgrids.

Un nouveau monde qui va demander plus d’automatisations et davantage d’IA.

Le premier type d’algorithmes évoqué par Philippe Rambach est dédié au jumeau numérique dynamique des bâtiments. « Dans un bâtiment comme le Palais des festivals de Cannes, il faut refroidir en été et réchauffer en hiver. Pour le maintenir à une température donnée de 8h du matin à 17 heures, une possibilité est de démarrer le système de chauffage à 7 heures et de l’arrêter tous les jours à 17 heures. Le bâtiment sera à la température visée à 7 heures 01 ou à 7 heures 59.Un moyen de résoudre cette équation serait de construire un modèle complexe du bâtiment et de calculer l’heure de démarrage exacte de la chaufferie. »

Prédire la consommation pour mieux la maîtriser

Impossible de créer un modèle numérique de chaque bâtiment car cela nécessite de disposer de sa modélisation 3D et de données précises sur les matériaux.

« Avec le Machine Learning, on peut construire un modèle à partir de l’ensemble des paramètres disponibles sur le bâtiment comme la température extérieure, le nombre de visiteurs, la rapidité avec laquelle le bâtiment va monter en température, etc. Ainsi, on peut optimiser le système d’air conditionné. » poursuit Philippe Rambach.

Cette approche a été mise en œuvre à Gradska Toplana, un quartier de la ville de Karlovac en Croatie, un quartier qui compte un millier d’habitants.

La migration des énergies carbonées vers l’électricité est un autre domaine où l’IA va jouer un rôle clé à l’avenir. De plus en plus d’entreprises et de particuliers vont se transformer en  » Prosumer » , à la fois consommateurs et producteurs d’énergie.

Philippe Rambach a donné l’exemple de Citycon, un développeur de programmes immobilier en Finlande. Celui-ci déploie des panneaux solaires sur les toits, des batteries dans les sous-sols, le tout connecté à un Grid.

« Pour gérer au mieux l’énergie produite, la stocker ou la réinjecter dans le réseau, il faut être capable de prévoir la consommation électrique du lendemain et optimiser le choix de source d’énergie.  Soit acheter de l’énergie sur le Grid, vendre la production ou plutôt charger des batteries. Personne ne peut faire cela manuellement et c’est le type d’arbitrage parfait pour une IA. » détaille-t-il.

Schneider Electric a implémenté cette approche chez Citycon mais aussi pour gérer la consommation électrique de son propre campus. Une prévision de consommation et de production des prochaines 48 heures est calculée toutes les 15 minutes, ce qui a permis à Citycom de réduire ses émissions carbone de 335 tonnes de Co2 par an.

Le passage à l’échelle : une étape encore complexe

Le Chief AI Officer de Schneider Electric estime qu’une telle approche devrait être déployée à l’échelle d’une région ou même d’un pays, mais ce type d’approche se heurte rapidement aux difficultés du passage à l’échelle.

« La Californie a décidé l’installation de panneaux solaires sur pratiquement tous les toits afin de réduire l’empreinte carbone à l’échelle de l’Etat. La première étape est de faire appel à un électricien qui va vérifier la faisabilité de l’installation des panneaux. Il n’y a pas suffisamment d’électriciens formés, ce qui ralentit cette politique d’installation. » pointe-t-il.

Là encore, le digital peut apporter une réponse partielle. Une application mobile permet à tous de prendre une photo du panneau électrique de sa maison et faire ce premier niveau de diagnostic sans faire appel à un électricien. Ce dernier n’effectue une visite que si l’installation des panneaux est possible.

Les énergies renouvelables et les nouveaux usages de l’électricité font bousculer le fonctionnement des Grids.

Non seulement, de plus en plus d’énergies intermittentes comme l’éolien et le solaire vont alimenter les réseaux, mais il faudra fournir de l’énergie à des millions de véhicules électriques et aux industriels qui vont réduire leur consommation d’énergie fossiles dans leurs process industriels au profit de l’électrique.

Relever le pari d’intégrer les énergies renouvelables dans le mix énergétique

L’IA peut notamment venir en aide aux gestionnaires de réseaux de distribution électrique. Mais pour bien simuler les courbes de consommation, il bien maîtriser ces réseaux. Et ce n’est pas toujours le cas estime Philippe Rambach : « Pour faire face à ce bouleversement, il faut connaître exactement comment le réseau est organisé. Or de nombreux distributeurs d’électricité ne connaissent pas le dernier kilomètre du réseau. Ils ne savent pas si tel ou tel immeuble est connecté à un transformateur ou à un feeder donné. Avec l’IA ont peut analyser la signature du signal électrique au niveau de l’immeuble et celui du transformateur et ainsi prédire à 80 % / 90 % quels sont les immeubles et maisons connectées à un feeder précis. »

Pour que les IA puissent démontrer leur capacités, il faut disposer de systèmes connectés capables de collecter des données et de piloter aussi bien un réseau de distribution, un microgrid ou un immeuble.

« Si on prend l’exemple d’un bâtiment, celui-ci doit disposer d’un GTB (Building Management System). Dès lors, deux  solutions sont possibles : soit embarquer l’IA dans ces solutions pour réduire les besoins énergétiques et optimiser la consommation, mais aussi pour réduire le coût de déploiement de ces solutions. Tous les bâtiments ne disposent pas de GTB en place, c’est la raison pour laquelle travaillons pour rendre l’installation de ces technologies plus rapide et plus simple en réduisant leurs coûts d’intégration. »

Et de reconnaître que pour déployer des IA efficaces, il faut déjà avoir atteint un certain niveau d’automatisation des systèmes.

Propos recueillis à Cannes lors du WAICF 2024

Photo : © DR