5G et nouveaux usages : vers le BigConnect ?

5G

Alors que démarrent en France les enchères pour l’attribution des licences de la 5G, il est temps de faire le point sur les apports de cette technologie.

Que se passe-t-il avec la 5G ?

Pour ceux qui ont vécu l’attribution des licences de l’UMTS, devenu 3G, et celle de la 4G, le débat en cours sur la 5G est presque une nouveauté. A l’époque les avis étaient globalement convergents sur le besoin d’accorder plus de bande passante à l’internet mobile, pour favoriser un effet de levier sur les usages. Restaient les questions de coût des licences (surtout pour la 3G) et d’exposition aux fréquences (surtout pour la 4G).

De l’eau a coulé sous les ponts. Le grand public, principal utilisateur des réseaux en mobilité, a développé une hyper sensibilité aux enjeux énergétiques (les réseaux mobiles et les usages de forts volumes de données perçus comme très consommateurs d’électricité), environnementaux (les antennes « nuisent » à l’environnement) et de santé (les ondes jugées « dangereuses »). Du côté des professionnels, les attentes sont nombreuses pour développer les usages, connecter plus d’objets sans infrastructure réseau lourde, tout en rassurant une clientèle devenue très sensible à la question de l’utilité de ces usages.

Pour la 5G, le débat se focalise sur deux questions fondamentales autour de l’utilité de cette technologie et des risques sociaux et environnementaux qu’elle ferait courir aux populations. Pour ces derniers, les débats ont été riches et souvent caricaturaux. Les exemples de déploiements dans de nombreux pays et les derniers rapports d’analyse comme celui commandé par le gouvernement « Déploiement de la 5G en France et dans le monde : aspects techniques et sanitaires » de septembre 2020 convergent pour mettre presque entièrement l’accent sur l’étude des risques sanitaires des ondes. Sans doute en ayant pour ligne de mire de tordre le cou à certaines idées reçues.

Qu’apporte donc la 5G ?

C’est le cœur de la question et le débat n’existerait pas ou peu si l’évidence de la 5G était reconnue de tous.

Mais c’est aussi le piège : décrire les nouveaux usages, ceux qui émergeront au cours des 10 prochaines années, peut être parfois hasardeux. Alors que les enchères débutent, projetons-nous pour trouver quelques convictions sur le futur que nous offre cette technologie.

Un futur pour l’emploi ?

S’il y a bien un avantage certain et à court terme de la 5G, c’est l’emploi. Encore une fois, et peut-être plus encore, la 5G est un vecteur de circulation d’argent et de création d’emplois. Tout d’abord concernant le déploiement, qui vient en parallèle de la fin du déploiement de la 4G. Une fin encore bien lointaine, puisque le calendrier fixe les déploiements 4G, par bande de fréquence, jusqu’en 2027 (source : ARCEP – « Échéances des obligations de couverture en France métropolitaine à compter de septembre 2019 »).

Pour la 5G, on va transformer des antennes existantes, mais surtout on va en créer d’autres, pour accompagner la densification du réseau. La maintenance aussi doit se transformer, ainsi que les systèmes d’information en support au déploiement puis en support à l’exploitation, à la supervision et à la maintenance. L’architecture 5G porte de nouveaux services qu’il va falloir créer et mettre en place, dont les plus importants sont les optimiseurs de trafic réseau et leurs algorithmes prédictifs (source : ARCEP – « Les enjeux de la 5G » Mars 2017).

Tout ceci va générer de l’emploi, dont une bonne partie sur tout le territoire, et pour tous. A moyen terme, ce sont les secteurs des contenus et des technologies de l’information qui favoriseront l’emploi. La 5G est vue par les opérateurs et les sociétés de conseil comme une technologie à destination des entreprises, ou au moins comme ayant un impact très fort sur les entreprises. Dans son ouvrage de 2020 « Faut-il avoir peur de la 5G ? », Guy Pujolle la décrit comme presque exclusivement adressée aux entreprises.

Les attentes liées à l’internet des objets (ou Internet Of Things – IOT) sont en effet conséquentes.

Un futur pour la connexion de tous et partout ?

Souvenez-vous, au début du confinement, nous écrivions que les réseaux étaient notre bouée de sauvetage dans un univers de télétravail. Comment rester en contact sans ces réseaux ? A l’époque de mes articles sur ce sujet, on m’avait dit de ne pas inciter à privilégier l’usage de la 4G pour les lieux ou les moments où la fibre et l’ADSL seraient défaillants. « La 4G ne tiendra pas si tout le monde s’en sert comme internet fixe ».

La 5G offre un débit et un partage des ressources hertziennes largement supérieurs à ceux de la 4G. Cela ouvre un nouvel espace pour compenser les défauts du filaire, et garantir que notre bureau nous suivra même en déplacement. En déplacement ou au contraire en confinement. Si le déploiement de la 5G se fait en pensant à ces nouvelles situations de travail, nous aurons gagné. Le bureau s’étendra d’ailleurs, d’une façon encore inexplorée. De nouveaux marchés nous attendent, exploitant un futur hyper-connecté.

Mais il reste la question du « pour tous ». Étant donné que la 5G possède plus de ressources, pourquoi ne pas l’ouvrir à ceux qui en ont le moins ? La 5G se doit d’être un vecteur d’inclusion. Évidemment les grandes villes et les principaux axes de déplacement seront les terrains privilégiés des premiers déploiements, mais la France du travail change, et à ce titre la cartographie des réseaux changera aussi. Les premiers forfaits intégrant la 5G (Orange notamment dans ses annonces du 28 septembre 2020) seront prochainement accessibles. On y voit apparaître les mentions de « data illimitée », pour des coûts qui restent encore loin de ceux attendus du grand public, mais le mouvement est là.

Un futur pour un haut débit et de faibles latences ?

Une vision bien virtuelle à l’heure où j’écris ces lignes. Pouvoir télécharger un film 4K en quelques secondes… sachant que 2h sont nécessaires pour le regarder, où est l’intérêt ? Streamer plus vite ne me convainc pas plus. Je ne crois pas qu’on attribue des licences nouvelles uniquement pour cela, et je rejoins les propos de l’ARCEP sur les opportunités ouvertes aux professionnels : « réalité virtuelle, véhicule autonome et connecté, ville intelligente (contrôle du trafic routier, optimisation énergétique), industrie du futur (pilotage à distance des outils industriels, connectivité des machines) ». Dans son dossier « La 5G : une nouvelle technologie pour les réseaux mobiles », l’ARCEP précise que la 5G « intéressera les verticales de secteurs très variés, par exemple : l’énergie, la santé, les médias, l’industrie, le transport ».

Je vais séparer l’étude des usages en deux catégories : ce que l’on connaît déjà et ce qui peut être imaginé.

Les jeux, les films et la musique nécessitent de forts débits. On y gagnera en confort, mais la limite se situera au niveau de l’infrastructure. Aujourd’hui la durée de téléchargement ou la qualité du streaming sont limitées autant par la connexion au terminal (smartphone, tablette, etc.) que par les capacités des serveurs et de leurs liaisons réseau. A ce titre, la 5G apportera une fiabilité côté terminal mais tout reste à construire côté serveurs.

La proposition liée à la 5G, et qui fait partie de la définition de la technologie, est de multiplier les datacenters au cœur même des cellules (donc à proximité des antennes). Ces technologies, nommées Mobile CDN (Content Delivery Network) et MEC (Mobile Edge Computing), rebattent les cartes de la distribution des données et des traitements sur le net.

Pour Guy Pujolle, il s’agit même d’un combat à venir entre les entreprises du Web et les opérateurs : « Le vrai challenge de cette génération pour les opérateurs télécom est de contrer les attaques des grandes entreprises américaines du Web, celles des GAFAM en particulier ». Je ne suis pas certain qu’on espère une multiplication des datacenters pour garantir le téléchargement en quelques secondes ou une latence très réduite, mais l’enjeu est bien là.

Il y a cependant une attente encore plus importante avec la 5G, un ailleurs qu’on ne connaît pas, mais que la 5G va permettre, et que j’appelle le BigConnect, combinant très haut débit et latence très réduite, favorisant les applications dites mission critical comme les liaisons vidéo haut débit en mobilité pour la médecine chirurgicale ou pour les secours, doublée d’une capacité d’interaction quasi temps réel avec les équipements terrain, une connexion en direct entre points voisins (Device to Device ou D2D) pour une meilleure synchronisation pendant une intervention, la captation de plus de données sur les transports, sur les infrastructures, dans les bâtiments intelligents et les villes intelligentes, sur la consommation énergétique qui deviendra mieux contrôlée, le tout pour une meilleure prise de décision concertée dans des délais très courts, sous contrôle de logiciels avancés. Ces usages n’existent pas, ils imposent un débit élevé, une latence faible et une fiabilité de liaison qui seront facilités demain.

Un futur au service de la sécurité ?

Le double sens à la fois rassurant et anxiogène de la sécurité est intéressant, surtout concernant la 5G.

La 5G est à la fois le paradis de l’IOT et celui des équipementiers réseau américains, chinois ou de pays nordiques. L’IOT va voir rapidement fleurir un peu partout des caméras, des capteurs connectés tandis que les équipements réseau situés à proximité des antennes représenteront une véritable menace, réelle ou fantasmée, en termes d’espionnage ou de stabilité des infrastructures. Certains vont même jusqu’à évoquer un « espionnage permanent des données des utilisateurs » (Guy Pujolle) à partir des équipements cœur de réseau.

Ces enjeux mis à part, la sécurité des personnes et des biens devrait y gagner grâce au BigConnect. L’IOT, couplé à un réseau profitant d’un bon débit relativement économe en énergie, va faciliter la surveillance de paramètres importants pour notre vie courante : capteurs d’eau ou de gaz, détecteurs de fumées, de chaleur ou d’incendie, détecteurs de présence – ou d’absence, suivi des malades ou des personnes dépendantes, suivi des paramètres de santé des personnels sur le terrain, des chauffeurs, des pilotes, communication entre véhicules (le V2V, Vehicle to Vehicle), systèmes de protection contre le vol ou la dégradation, là est la véritable sécurité au service de tous.

Connecter ces capteurs d’informations à des infrastructures capables de les gérer – qui restent à créer, c’est gagner du temps et sauver des vies. Ceci doit être fait dans le strict respect de la sécurité (informatique cette fois-ci), et de la protection des données. Mais ces traitements, s’ils sont créés en suivant les règles et les bonnes pratiques, sans transiger, serviront des causes plus nobles et qui feront réellement avancer la société.

Un futur d’écologie ?

Enfin, grave sujet et tellement controversé que celui de l’environnement lorsque l’on parle du déploiement de la 5G. Je vais évacuer la question de la consommation d’énergie assez simplement : non, la 5G ne sera pas économe en énergie. Je m’explique : du fait des optimisations qu’elle intègre, la 5G est plus économe en énergie que la 4G, à usage équivalent. Or il n’est pas question d’usage équivalent, nous allons profiter de beaucoup de nouveaux usages, d’ailleurs c’est le thème de cet article. La 4G a décuplé l’usage de l’internet mobile, il en sera de même avec les générations suivantes. L’Académie Royale Anglaise indique que « les technologies de communication pourraient contribuer à 23% des émissions de carbone en 2030 ».

Alors où est l’écologie dans la 5G ? 

La sauvegarde de notre planète passe avant tout par une meilleure maîtrise de ses ressources. L’un des réponses est une meilleur interaction grâce aux données entre les équipements. Par exemple, avec une station météo qui envoie un message local aux habitations environnantes pour signaler l’arrivée du soleil dans les heures ou minutes qui viennent. Les thermostats, informés, n’ont alors plus à activer les chauffages pour favoriser la chaleur naturelle du soleil dans les habitations. Même chose du côté des installations photovoltaïques ou éoliennes, ou pour la déchèterie ou le méthaniseur voisins qui s’apprêtent à générer de la chaleur. Ces exemples sont liés aux smartgrids énergétiques, mais il y en a bien d’autres. 

Le BigData, c’est la somme d’énormément de petites données. Le BigConnect, c’est la somme de petites décisions concertées. 

C’est également un enjeu sociétal pour nos jeunes générations qui ont à cœur, avec leur hyper connectivité, de mieux respecter l’environnement. Et la 5G sera l’une des réponses pour y parvenir. 

Un futur pour la France et l’Europe ?

La 5G est déployée en Corée du Sud, et en cours de déploiement dans de nombreux pays (USA, Japon, Chine), mais aussi dans toute l’Europe (les plus avancés : Autriche, Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Suisse, etc.).
FoMême si la France ne fait pas partie du peloton de tête sur cette génération, elle jouit encore d’une réputation d’avant-gardiste pour ce qui est du secteur des télécoms. Il n’est pas suffisant de rester à l’avant-garde pour se prouver qu’on est ou qu’on va devenir les meilleurs, car le monde de l’informatique nous a échappé. 

Mais créer le terreau pour favoriser les innovations dans un monde hyper-connecté permettra de ne pas voir nous échapper le monde du BigConnect. Pour quels enjeux ? Ceux de l’économie couplée. Une économie non encore inventée, qui profitera des liaisons entre équipements telles qui décrites ici, au service de multiples causes qui satisferont, enfin, les plus impatients de voir notre monde changer – dans le bon sens, tout en s’appuyant sur une matière concrète, à savoir un réseau de télécommunications puissant et inégalé. 

Alors la France et l’Europe, championnes des telco, garderont leur attractivité technologique et économique. 

Mon rêve ultime, dont les espoirs et les contraintes sont exprimés avec beaucoup de précision par Benjamin Helman dans sa tribune du 24 juin 2020 (Les Echos), serait aussi que l’Europe fasse émerger un nouveau champion des télécoms et de l’IOT qui en découle. Il devrait également intégrer l’excellence logicielle, afin de garder le contrôle des nouveaux datacenters que la 5G fera éclore. 

Le COVID a mis à mal nombre de secteurs. Dans le même temps, les industries de l’informatique, des télécom et de l’information en ont été les bénéficiaires. Les successeurs du COVID (pourvu que non…) et les conséquences de cette crise sur les nouveaux modes de travail, de vie, de logistique, d’économie locale, favorisent l’émergence de ce champion. 

Alors battons-nous, inlassablement, passionnément, pour faire naître une nouvelle alternative européenne, française grâce à cette technologie qui sera, je n’en doute pas, l’objet de « Big préoccupations » dans les mois qui viennent pour nos sociétés.


Auteur
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Directeur
Talan Labs
Thibault Ducray est directeur de Talan Labs
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