CITE DES SITES : Marianne, de Berl à Kahn

Avant la guerre, les grands hebdomadaires politiques format quotidien appartenaient à des maisons d’éditions

En ce temps là, Fayard avait Candide, les Éditions de France d’Horace de Carbuccia Gringoire. Gallimard ne fut pas en reste avec Marianne qui avait une génération d’avance grâce à ses illustrations et à la qualité de son impression. Marianne avait été créée par un personnage exceptionnel,

Emmanuel Berl. «En 1976 Patrick Modiano publie une série d’entretiens avec Emmanuel Berl pour écouter ce « témoin capital » qui a observé et commenté les trois premiers quarts du XXè siècle. « C’était l’ami de Bergson et de Cocteau, de Drieu La Rochelle et de Léon Blum. Il était essayiste, historien, mémorialiste, romancier et philosophe, et son oeuvre a passionné Nimier, Malraux, Aragon et Camus. (?) »Éminence grise de la politique et des lettres « , juif, grand bourgeois et homme de gauche, Berl a tout connu de Bergson à Proust (ils étaient apparentés), d’Anna de Noailles à Colette, de Daniel Halévy à Céline, de Drieu à Barbusse, de Saint-John Perse à Marcel Aymé, d’Édouard Herriot à Jaurès, Blum et Mitterrand. Dans les Derniers Jours comme dans Marianne (ce chef-d’oeuvre de la presse) ou dans Pavés de Paris, il fut, «  la peur au ventre d’être en retard sur les événements « , l’homme des combats opiniâtres et ardents : cause européenne, immigration, égalité politique et sociale entre femmes et hommes, hostilité sans faiblesse à l’endroit des nationalismes et des bellicismes.» Et on rappellera, pour la bonne bouche, qu’il participa à la rédaction d’un ou deux « messages » du maréchal Pétain et fut l’auteur, sinon le signataire, de ces deux formules choc : «Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal» et «La terre, elle, ne ment pas» . Pour une bouche meilleure encore, Emmanuel Berl avait épousé Mireille, la Mireille de Couchés dans le foin et du Petit Conservatoire de la Chanson. «Observateur attentif et amusé de son époque, Gaston Gallimard est présent là où on ne l’attend pas. Après Détective et ses crimes crapuleux, il crée en 1931 Voilà, hebdomadaire de reportages, dont les pin-ups font les grands jours ! Puis en 1932, il propose à Emmanuel Berl la direction de Marianne, hebdomadaire politique et culturel, proche d’une gauche pacifiste, républicaine et antifasciste. Voilà atteint quelque 350 000 exemplaires, Marianne 120 000.» source. Ce « chef-d’oeuvre de la presse » accueillit nombre d’auteurs et, en particulier, Marcel Aymé que sa Jument verte avait rendu célèbre. «Même s’il se méfiait des prises de position tonitruantes, même s’il préférait la discrétion au gaspillage de salive, Aymé a souvent pris des positions fermes sur certains problèmes de son temps et s’est exprimé en toute indépendance à propos de maintes questions d’actualité. Son entrée en journalisme remonte à 1933 où, sur la demande d’Emmanuel Berl, il accepte de collaborer au tout jeune hebdomadaire politico-littéraire Marianne. « D’emblée, Aymé s’y pose comme un critique acerbe des régimes totalitaires, hitlérien ou mussolinien, et comme un observateur sans concession de la vie parlementaire française, qu’il n’hésitera jamais à tourner en dérision. Il faut notamment relire ces pages féroces où, au lendemain du 6 février 1934, Aymé préconise au ministère de se présenter à l’Élysée? à cheval, pour mieux asseoir son prestige et son parfait mépris du peuple ! « Cette liberté de ton ne pourra cependant se conformer longtemps au cadre rigide d’une ligne éditoriale et la rupture avec Marianne sera consommée quand, par pacifisme intégral, Aymé s’exprime contre une intervention militaire de la France en Éthiopie, contre les visées expansionnistes de Mussolini. Il s’en expliquera, dans ces quelques lignes tranchantes et définitives : «Je suis un renégat, un écrivain en saindoux, porte-plume à tout faire. Au lieu de prendre du galon parmi les intellectuels de gauche en réclamant des sanctions contre l’Italie, j’ai signé un manifeste de droite, et même d’extrême-droite, qui s’insurgeait contre des mesures propres à nous entraîner de l’aveu de leurs plus zélés partisans, dans une guerre de droit. Entre la paix européenne et une guerre sanglante à la guerre, j’ai choisi sans hésiter. C’est ma conviction qu’il faut être un fou de l’espèce furieuse pour pouvoir s’embringuer, quels que soient les torts de l’Italie, dans une guerre de principes. (?) « Méfiant vis-à-vis de la modernité, Aymé se raillera d’une civilisation qui se laisse américaniser à loisir et accorde plus d’importance à la quantité qu’à la qualité. Il fera de la justice dite démocratique un portrait fort peu élogieux et s’opposera à la peine de mort sous toutes ses formes (l’article «Les médecins avec le penthotal briguent-ils la succession de Deibler ?» est à ce titre exemplaire). (?) « Au fil de ces diverses prises de position se cristallisera l’image d’un Marcel Aymé non-conformiste, anarchiste de droite, libertaire de ci, réac de là? Autant d’étiquettes dont notre auteur n’aura que faire tout au long de son existence, réagissant aux événements sans jamais se laisser influencer par la doxa, n’affichant que des convictions ponctuelles, jamais d’Idées majuscules. Comme il l’écrivait en 1957 : « L’écrivain devrait être non plus le témoin, mais la conscience de son temps. Ainsi refusera-t-il de s’engager, car il lui faut pouvoir dire tout comme une conscience : « Hier je me suis trompé » ou « Hier j’ai menti sur tel point dans l’intérêt de ce que je croyais être la vérité » ou encore « un tel qui pense comme moi est un malhonnête homme« ». Frédéric Saenen. Comme quoi un hebdomadaire de gauche pouvait engendrer un polémiste plutôt de droite. On a vu pire, hélas ! L’Association du Livre et des Auteurs comtois rappelle toutefois d’autres prises de position de Marcel Aymé dans Marianne : «?, le 3 mai 1933, il intitule son article : Vive la race ! De quoi s’agit-il ? D’un texte qui tourne en ridicule les concepts racistes des nazis. Pour ce faire, l’écrivain imagine un vaste rassemblement d’Hitlériens, décidés à traquer les Juifs. L’un d’eux est d’abord tué et l’orateur réclame le foie pour son chat? D’autres lynchages ont lieu sur des critères aussi simplistes que les cheveux noirs et le nez busqué. À chaque fois, l’orateur réclame les foies. Dans la mesure où il ajoute que les juifs sont parfois blonds aux yeux bleus, tous ceux qui présentent ces caractères sont mis à mort et le seul survivant finit par s’exécuter lui-même. Quant à l’orateur, il expire à cause d’un foie qui lui est tombé dans la bouche. « Cet article, de mai 1933?, n’est pas isolé. À plusieurs reprises, Marcel Aymé s’en est pris au régime hitlérien. En août 1933, dans Coupe d’oreilles, il a évoqué le cas d’un garçon-coiffeur allemand, du nom d’Handersen, qui avait la fâcheuse manie de couper les oreilles de ses clients. Il s’agit évidemment d’un pervers, qui permet à Marcel Aymé d’écrire : « Les docteurs de l’Allemagne hitlérienne, qui ont des vues si arrêtées sur la classification des grandes familles humaines, n’auront pas été sans observer que le garçon coiffeur ? son nom de Handersen l’indique suffisamment- est un représentant du type aryen le plus pur. Cette curieuse manie de couper les oreilles des clients serait un cas magnifique de retour aux origines, presque une apologie des vertus guerrières de la race élue, et en attendant la prochaine, Handersen pourrait déjà s’employer utilement dans les brigades d’assaut ». « En août 1934, dans Vague de pudeur en Amérique, il ironise sur la pudibonderie américaine d’alors et glisse, au passage : «Nous avons vu, tout récemment, dans l’Allemagne hitlérienne, des guerriers punis de mort pour avoir détourné leur postérieur de son usage essentiel, et il semble bien qu’une même fureur vertueuse anime toutes les nations vouées à la dictature. » Quinze jours plus tard , il s’amuse de la mode du bronzage et conclut : «Seules, les gueules noires auront [bientôt] le droit d’inscrire leurs noms dans les bottins mondains. Il faut espérer que ce temps-là est assez éloigné pour laisser à M. Hitler le temps de mourir dans son lit, parce qu’il serait sûrement très malheureux de voir ainsi compromise l’intégrité de la race aryenne. » Marianne ( le Marianne de Gallimard) n’existe plus. Bien que n’ayant pas paru sous l’Occupation, il n’est pas reparu à la Libération? Mais Jean-François Kahn, dont l’Événement du Jeudi mourut tristement en supplément gratuit de France soir, eut il y a quelque temps l’idée de placer sous le titre Marianne un journal très différent du premier du nom. Un journal en quelque sorte « politique-people » qui n’est pas pour déplaire à beaucoup de lecteurs n’osant pas lire les grands news. Marianne-Kahn a un site Internet qui publie un « Appel mondial pour la non réélection de George Bush. « Le Président américain qui sera élu en novembre prochain, ne sera pas seulement le Président des Etats-Unis mais, d’une certaine façon, pour le meilleur ou pour le pire, le Président du monde. La paix mondiale, notre capacité à faire reculer le fanatisme et le terrorisme, mais aussi l’injustice et la misère, à résoudre les conflits qui nourrissent les haines et les rages, à favoriser l’entente et la compréhension entre les peuples, la réconciliation ou le choc des civilisations, la prise en compte ou non des problèmes de l’environnement et donc, le devenir de la planète, la vie de 6 milliards de femmes et d’hommes, l’équilibre de nos économies, l’évolution de nos sociétés, dépendront, pour une grande part, du choix du peuple américain. « Le reste du monde ne peut donc s’en désintéresser. Les amis des Etats-Unis ne peuvent rester neutres quand l’incarnation actuelle de l’Amérique nourrit partout l’anti-américanisme, à la grande joie des ennemis de la démocratie. « C’est pourquoi les soussignés, représentant tous les continents et toutes les cultures, les confessions et les philosophies les plus diverses, s’adressent au peuple américain pour lui faire savoir qu’ils appellent de leurs voeux une Amérique qui ne serait plus représentée par George Bush. ?» Appel qui voisine avec un sondage sur la polygamie et la recherche de témoignages de vrais radins en vue d’un dossier dans le magazine papier : «Amis radins, le magazine Marianne vous offre l’occasion de devenir célèbre gratis, bien évidemment. Il vous suffit de raconter en quelques lignes vos affres, vos manies et vos petites économies, et de joindre votre photo. Nous publierons prochainement vos témoignages dans notre journal, gracieusement s’entend. » Plus éclectique, tu meurs ! Jean-François Kahn balance sur Internet : Internet : «– La généralisation de l’internet a-t-elle changé quelque chose pour votre rédaction et comment envisagez-vous l’évolution de la profession justement dans le cadre de l’explosion de ces nouvelles technologies ? « – La transformation est visible en ce sens qu’il n’y a plus de papier. J’ai connu des journaux où tout était sur papier. Il n’y a plus de montage classique? tout se fait sur écran. Etant d’une autre génération je demande à ce que tout me soit sorti sur papier. Cela étant, 90% de ce qui se fait au journal se fait sur l’écran, le papier a donc tendance à disparaître. « Pour l’investigation, l’internet joue un rôle très important. Au début de Marianne par exemple, on a fait une grande enquête sur la politique sociale d’une grande chaîne de fast food, pour démontrer que cette chaîne avait une politique sociale esclavagiste. Eh bien sur internet, on a trouvé des centaines de témoignages de gens qui avaient travaillé pour cette chaîne et qui racontaient comment ils avaient été exploités. En cela, c’est un instrument formidable. Avant il aurait fallu aller les retrouver. Sur le plan de la documentation aussi, sur internet, vous trouvez très vite n’importe quel renseignement. Donc, c’est un apport formidable. « Cela dit, je ne pense pas personnellement qu’un journal doit se mettre en ligne. S’il le fait, alors il se tire une balle dans le pied en se faisant de la concurrence à lui-même. S’il veut avoir un service en ligne, il faut que ce soit un service original, indépendant, et qui incite les gens qui le consulte à lire le journal. Sans quoi, on en arrive au résultat de Libération, qui a perdu des milliers de lecteurs parce que les gens le consultent sur le net.» () À Libé de nous dire si cette information est vraie. Personnellement je consulte Le Monde et Libération sur le Net et je les achète en papier !