Olivier Rafal, PAC : « Deux Cloud souverains en France, c’était délirant ! »

Pour Olivier Rafal, Principal consultant au sein du cabinet d’études Pierre Audoin Consultants (PAC), l’échec du Cloud souverain, consommé par la reprise de Numergy par SFR, était inscrit dans ses gênes.

Silicon.fr : Le rachat annoncé de Numergy par SFR signe la fin de l’aventure du Cloud dit souverain, lancée en 2012 avec l’appui de 150 millions d’euros de financement public. Quelles leçons peut-on tirer de cette histoire qui a tourné court ?

O_RafalOlivier Rafal : Commençons par remarquer que c’est une histoire qui avait mal démarré, du fait de la surestimation du marché du Cloud public par les porteurs du projet et du cahier des charges assigné aux deux sociétés – Cloudwatt et Numergy. Cette erreur originelle faisait des deux Cloud souverains des concurrents directs de sociétés bien mieux armées, comme Amazon Web Services (AWS) ou Microsoft Azure. Sur le papier seulement. Car, s’il s’agissait de concurrencer AWS, ce sont des milliards d’euros qu’il aurait fallu injecter ! Dans les faits, Cloudwatt et Numergy se sont plutôt retrouvées en concurrence avec des PME françaises, comme Ikoula ou Outscale. On aurait mieux fait d’assigner dès le départ aux Cloud souverains des objectifs plus limités, par exemple développer les usages du Cloud dans les PME françaises ou dans le secteur public.

Au final, l’idée de lancer un projet Andromède (le nom donné au départ au programme de Cloud souverain français, NDLR), c’était déjà beaucoup compte tenu des réelles perspectives du Cloud public dans l’Hexagone. Mais en lancer deux, c’était complètement délirant.

Quand avez-vous pris conscience de ce décalage ?

O.R. : Dès que nous avons commencé à discuter avec Cloudwatt et Numergy, nous nous sommes rapidement rendu compte que leurs estimations n’étaient pas réalistes. Ils avaient bâti des business plans beaucoup trop optimistes, sachant que, dans l’Hexagone, l’essentiel des dépenses allaient vers le Cloud privé. Le Iaas public, le marché sur lequel se positionnent tant Cloudwatt que Numergy, connaît certes une croissance soutenue – nous l’estimons à en moyenne 33 % par an -, mais le marché n’a atteint que 400 millions d’euros début 2015. (Rappelons que c’est le chiffre d’affaires que prévoyait le seul Numergy pour 2017, alors qu’il ne réalisera qu’environ 6 millions cette année, NDLR).

Quelqu’un a-t-il alerté le gouvernement de ce décalage ?

O.R. : Pas à ma connaissance. Il faut se souvenir que les décisions d’investissement autour du Cloud souverain se sont jouées à un niveau très politique, plus que sur des prévisions de marché et des business plans concrets. A l’époque, il y avait un troisième acteur en lice, Dassault Systèmes.

Les deux principaux opérateurs nationaux, SFR et Orange, déjà actionnaires de Cloudwatt et Numergy vont récupérer ces sociétés. Est-ce une bonne affaire ?

O.R. : Plutôt oui. Car ces deux sociétés ont un vécu sur le Cloud. Elles ont effectué des développements techniques, signé des partenariats, développé leurs savoir-faire… Autant d’actifs que vont récupérer les opérateurs. Numergy, par exemple, avait assez bien réussi le développement de ses partenariats avec des acteurs du service ou du logiciel et initié des accords avec d’autres Cloud à l’international.

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