Opinion – Le Cloud, une infrastructure régalienne avant tout

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Alors que tous appellent de leurs vœux à une transformation digitale de nos entreprises, il faut que celles-ci puissent compter sur des infrastructures adaptées à leurs besoins et leurs tailles.

Un datacenter qui brûle à Strasbourg début mars, puis de nouveau 9 jours plus tard : aucun blessé à déplorer heureusement, mais entre 12 000 et 16 000 entreprises qui voient leurs données partir en fumée. La catastrophe qui a frappé le fournisseur français OVH nous rappelle brutalement que le Cloud, avant d’être un nuage, est une infrastructure physique sur laquelle il faut pouvoir compter. Or, nous le savons, la nécessité d’être profitable prend malheureusement souvent le pas sur la qualité ou même le service.

Alors que tous appellent de leurs vœux à une transformation digitale de nos entreprises, il faut que celles-ci puissent compter sur des infrastructures adaptées à leurs besoins et leurs tailles.
De la même façon que l’État a piloté nos grandes infrastructures de télécommunications et de production d’énergie, il doit aujourd’hui construire et maintenir ce Cloud régalien dont nos entreprises ont tant besoin pour réussir leur transformation digitale. Mais pour cela, faut-il déjà qu’il en saisisse tous les enjeux !

Nous ne sommes pas égaux devant le Cloud

Peut-on raisonnablement continuer à s’appuyer sur des acteurs privés pour réussir la transformation digitale de notre économie que le gouvernement appelle pourtant de ses vœux ?
Au vu des récents déboires du fournisseur français OVH et de son offre de Cloud, on peut en douter. Mieux, ces incendies doivent nous interroger sur la qualité de service délivrée aujourd’hui aux entreprises françaises en matière de Cloud par les différents acteurs privés.

Quelle PME hébergeant ses données sur les serveurs qu’il soit français ou américain avec AWS ou Google a déjà entendu parler de réplication de ses données ? En réalité, tous ces services privés sont encore conçus pour de grandes entreprises, qui disposent d’une armée de prestataires capables de les accompagner dans leur transformation digitale. OVH lui-même ne s’en cache pas et se réfugie derrière cet argument : « les entreprises doivent mettre en place leur plan de reprise d’activité ». Mais oui, bien sûr.

Les autres, les petits, isolés, qui constituent pourtant 90 % de notre tissu économique n’ont finalement pas les moyens d’aller sur le cloud. Des incidents comme celui-ci leur font, à juste titre, perdre toute confiance dans ces nouvelles infrastructures, eux qui sont déjà par nature si fragiles. Ils mettront de longues années à reprendre confiance et reculeront d’autant leurs investissements dans une digitalisation qui est pourtant le fer de lance du maintien de leur compétitivité voire de leur pérennité. Une inégalité préjudiciable à notre économie qui doit faire réagir au plus haut sommet de l’État.

Une nécessaire prise de conscience

Nos dirigeants n’ont fait qu’entrevoir le problème sous l’angle d’abord de la souveraineté, qui il est vrai, nous a déjà coûté la branche énergie d’Alstom et bientôt de Veolia ou de Total qui ont entièrement hébergé leurs données chez AWS (Amazon) et Google Cloud. Pas assez fous pour aller chez OVH. Un choix judicieux voire rationnel, une nécessité pour disposer d’infrastructures agiles et intelligentes mais une terrible erreur stratégique.

Au-delà de la souveraineté, nous avons besoin d’une infrastructure d’hébergement avec toute l’intelligence et les services qui vont avec, globalement fiable et adaptée à toutes nos entreprises pour que nous puissions affronter l’énorme défi de cette transformation digitale dans laquelle la data mais aussi l’IA maintenant jouent un rôle prédominant.

Ce besoin semble complètement échapper à nos dirigeants que ce soit le gouvernement ou nos parlementaires. Des concepts, des besoins ou une réalité de l’entreprise peut-être trop éloignés de leurs quotidiens ? S’il en fallait la preuve, Cédric Villani, le meilleur d’entre tous, n’avait-il pas volontairement omis un chapitre sur les entreprises dans sa « feuille de route sur l’IA » en 2018.
Un choix qu’il justifiait dès le lendemain dans une interview au Monde par une phrase qui restera dans les annales de l’incompétence « l’IA, …, les entreprises se débrouilleront toutes seules, … ».

Un grand visionnaire certes pour les 16 000 entreprises en rade. Le seul fait de se poser la question du besoin des entreprises en IA et donc de l’hébergement de leurs données et de leurs services lui aurait permis de comprendre que cette infrastructure n’existait pas, qu’elle devait être régalienne et qu’elle était bien loin du PaaS (Plateform As A Service) Européen qu’il incitait à créer et dont personne n’a que faire.

Dans ce monde numérique dominé par les GAFA libertariens, l’état français s’oublie et oublie son rôle

A leur décharge, ce nouveau monde est complexe car de nouveaux acteurs viennent se substituer discrètement à l’état, même en France. Le consensus américain dans le numérique issu de l’équilibre précaire trouvé entre l’état américain et les GAFAs est basé d’une part sur une volonté de l’état de se désengager et d’autre part sur les velléités de ces mastodontes à remplacer l’état et en tirer profit.

Erigée en mouvement politique, cette extension mercantile du libertarisme vient s’immiscer à bas bruit dans notre landernau faisant oublier à l’état français son rôle dans la mise en œuvre des infrastructures stratégiques pour notre pays et mettant les infrastructures de cloud au même niveau que des solutions du marché alors qu’il n’en est rien.

L’état français a bien essayé de confier ce chantier à des consortiums industriels trop heureux de prendre une centaine de millions d’euros au passage sans pour autant que nous n’ayons vu l’ombre d’un serveur ou encore espérer de cette toute jeune Europe un sursaut de vision industrielle et la réplication d’Airbus dans le cloud. L’Europe ne sait pas construire in extenso. Elle sait assembler au mieux.

Nous savons bien que mettre un projet d’une telle envergure entre les mains de l’administration française nécessiterait un temps plus long que dans le privé mais serait un gage de qualité, d’équité et surtout d’adaptation de l’offre à la stratégie industrielle française nécessaire à notre croissance. Il suffit de se rappeler l’importance et le succès du programme nucléaire civil qui nous met fort heureusement à l’abri, du TGV, de notre réseau d’autoroutes, de notre réseau de télécommunications, … Toutes nos infrastructures stratégiques ont été construites par l’état !

Il nous faut aussi construire notre propre Cloud régalien que notre éminent corps des Télécoms, un de ces grands corps d’état, saura parfaitement réaliser comme il l’a fait par le passé sur d’autres infrastructures dont nous lui sommes redevables. Mais il faut avant tout que nos politiques, maîtres du temps et du budget, prennent conscience des enjeux de la transformation digitale si nous ne voulons pas que, freinée dans son élan, toute notre industrie parte en fumée … comme OVH.


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