Déploiement de la fibre optique en France : ça sent la panne

Free et Bouygues Telecom menacent de ne plus investir dans la fibre si le régulateur augmente les tarifs du dégroupage. De leur côté, les collectivités manquent de financement pour investir dans le très haut débit.

Le plan France très haut débit (THD) visant à équiper 80% des foyers français en fibre optique en 2022 est-il en train de battre de l’aile ? Deux opérateurs menacent de cesser leurs investissements dans le réseau optique jusque chez les abonnés (FTTH). Les dirigeants de Bouygues Telecom, Olivier Roussat, et de Free (Iliad), Maxime Lombardini, ont adressé une lettre en ce sens, fin octobre, au président de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), Sébastien Soriano, révèle L’Expansion.

Objet du courroux ? Les augmentations programmées des coûts de l’ADSL dégroupé en 2016 et 2017. Le régulateur a en effet prévu d’augmenter, respectivement de 5 et 40 centimes, la redevance que les opérateurs alternatifs versent à Orange pour accéder à la ligne téléphonique des abonnés. Soit 9,10 euros en 2016 et 9,45 euros en 2017 par ligne et par mois contre 9,05 euros aujourd’hui. Une initiative qui vise à inciter les opérateurs à accélérer leurs investissements dans les nouvelles technologies réseau, plutôt qu’à les maintenir dans les anciennes.

L’effet contraire de celui recherché

Mais c’est l’inverse qui risque de se passer. A l’échelle de leur base clients, cette augmentation représente plusieurs millions de pertes annuelles pour les opérateurs qui ne reporteraient pas ces évolutions sur la facture de leurs abonnés. Et cette nouvelle tarification de l’ADSL « casserait les capacités d’investissement des deux petits opérateurs [dans la fibre optique, NDLR] et renforcerait la position déjà ultradominante d’Orange », écrivent d’une même plume Free et Bouygues Telecom, rapporte notre confrère. Autrement dit, ce qui sera dépensé pour la vieillissante paire de cuivre ne le sera pas dans la scintillante fibre optique.

Les deux opérateurs soulignent par ailleurs que la boucle locale cuivre est aujourd’hui largement amortie, que les investissements y sont déjà « quasiment nuls » et qu’elle représente une manne pour Orange. Rentabilité que l’augmentation prévue par l’Arcep risque de renforcer (bien que les tarifs à coûts fixes de certains autres services, comme les interventions techniques ou les frais d’accès et de résiliations, sont pour leur part revus à la baisse). Les deux ennemis d’hier déclarent reverser plus d’un milliard d’euros par an à l’opérateur historique propriétaire de la boucle locale. Et préconisent la stabilité des tarifs du cuivre aussi longtemps « que les opérateurs alternatifs démontrent leur engagement à investir (…) et que le marché du très haut débit (…) n’aura pas trouvé un équilibre concurrentiel ». Free et Bouygues Telecom ont annoncé leurs ambitions en matière de réseau FTTH : 7,5 millions de prises optiques (dont 3 en propres et 4,5 en co-investissement avec Orange) pour le premier à terme, et 2 millions cette année pour le second pour l’heure. Bien peu en regard des 20 millions de prises pour Orange et des 22 millions pour SFR (Numericale-SFR) annoncées pour 2022.

Les collectivités bloquées en 2016 ?

Le plan visant à couvrir la France d’une infrastructure très haut débit à l’aube de la prochaine décennie pourrait également être mis à mal par les collectivités chargées de déployer leurs propres réseaux d’initiative publique (RIP) pour alimenter les zones non prises en charge par les opérateurs (soit environ 43% des foyers). Lors du colloque que l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel) a tenu les 23 et 24 novembre derniers à Paris, son président Patrick Chaize a souligné les retards dans le financement promis par l’Etat dans le cadre du plan THD. Ce dernier s’est engagé à contribuer à hauteur de la moitié environ des 6 à 7 milliards d’euros qu’investiront les collectivités. Si 76 dossiers de demandes de subvention (représentant 89 départements sur 101) ont été déposés à ce jour (selon la Mission France THD), seules 5 décisions de financement par l’Etat ont été validées. Et une seule est effective, pour le Nord-Pas-de-Calais, avec une enveloppe de 181 millions d’euros.

Alors que le nombre de prises FTTH d’initiative publique a bondi de 33% en un an et que près de la moitié des régions et départements français auront mis en place un exploitant en 2016, les retards de financements de l’Etat pourrait mettre un frein au déploiement de la fibre. « Si les financements de l’Etat restent bloqués, si les trésoreries des syndicats mixtes sont exsangues, on ne tirera plus de fibre en 2016 dans beaucoup de communes rurales », s’est inquiété Patrick Chaize lors de son discours d’ouverture du colloque. Et la situation risque de se complexifier. En effet, après deux ans de discussions, la Commission européenne n’a toujours pas validé le plan de l’Etat visant à subventionner les collectivités. Or, sans le feu-vert de Bruxelles, les collectivités ne seront pas couvertes juridiquement et donc attaquables et redevables d’éventuels dommages réclamés par des opérateurs qui verraient dans les subventions d’Etat un avantage concurrentiel discutable. Ce dont s’est notamment inquiété la Firip (Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique), dont les membres pourraient hésiter à s’engager dans des projets non solvables.

Un déploiement couvert de cailloux

Toujours au colloque de l’Avicca, Antoine Darodes, le directeur de l’Agence du numérique (qui intègre la Mission France THD), a reconnu, malgré son optimisme, que le déploiement du très haut débit était « couvert de cailloux ». Et Free et Bouygues Telecom viennent d’ajouter leur pierre à l’édifice.


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