ACTA : Bruxelles saisit la Cour de justice européenne

Confrontée à la critique d’eurodéputés et d’organisations de défense des libertés sur internet, la Commission européenne demande à la Cour de Justice de l’UE de se prononcer sur la conformité de l’Accord commercial anti-contrefaçon avec les droits fondamentaux.

La saisine par la Commission européenne de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) portant sur la conformité de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA – Anti-Counterfeiting Trade Agreement) avec les droits fondamentaux et libertés est diversement appréciée.

La détermination de Bruxelles

« La propriété intellectuelle est la principale matière première de l’Europe, mais le problème est que nous avons actuellement du mal à la protéger (…) L’ACTA aidera à protéger les emplois qui sont actuellement perdus à cause de produits contrefaits et piratés, produits d’une valeur de 200 milliards d’euros qui circulent sur les marchés mondiaux », a déclaré mercredi par voie de communiqué Karel De Gucht, commissaire européen en charge du commerce.

Tentant de calmer la critique, celui-ci a ajouté : « l’ACTA ne changera rien sur la façon dont nous utilisons internet et les réseaux sociaux aujourd’hui – car il n’introduit pas de nouvelles règles. L’ACTA aide seulement à faire respecter ce qui est déjà inscrit dans la loi aujourd’hui. L’accord ne censurera pas et ne fermera pas les sites web ; il n’entravera pas la liberté sur internet ou la liberté d’expression (…) Une saisine permettra à la plus haute Cour de justice européenne de clarifier en toute indépendance la légalité de cet accord. »

La méfiance des eurodéputés

L’eurodéputé britannique David Martin a été désigné rapporteur de l’ACTA au Parlement européen à la suite du départ de l’eurodéputé français Kader Arif. Ce dernier a démissionné le 26 janvier, soit le jour de la ratification de ce traité par la Commission européenne, en dénonçant : « l’ensemble du processus qui a conduit à la signature de cet accord : non-association de la société civile, manque de transparence depuis le début des négociations, reports successifs de la signature du texte sans qu’aucune explication ne soit donnée, mise à l’écart des revendications du Parlement européen pourtant exprimées dans plusieurs résolutions de notre assemblée. »

De son côté, David Martin, a souligné hier : « le commissaire au commerce Karel de Gucht a admis qu’il y avait encore beaucoup de points d’interrogation sur l’ACTA et sur ce que son application, en l’état, signifierait pour les citoyens et la liberté sur internet. » Selon l’actuel rapporteur de l’accord au Parlement, l’avis de la Cour de justice de l’Union sera une bonne garantie « quant à l’impact (de l’ACTA) sur les droits fondamentaux. »

L’ACTA en bref

Les négociations ont débuté en 2007 dans le but d’harmoniser la législation en matière de protection des droits d’auteur (musiques, films, jeux…), des droits de propriété intellectuelle (logiciels…) et industrielle (médicaments, vêtements…) à l’ère numérique. Accord multilatéral, l’ACTA concerne, outre l’UE et ses 27 États membres, l’Australie, le Canada, la Corée, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et les États-Unis.

En Europe, l’ACTA a été adopté à l’unanimité en décembre 2011 par le Conseil de l’Union européenne – celui-ci forme avec la Commission l’exécutif européen -, puis a été signé par 22 des 27 États membres de l’UE en janvier 2012. Pour que l’accord soit applicable sur le territoire européen, l’ensemble des États membres doit le ratifier. La Commission européenne a également transmis le dossier au Parlement européen afin qu’il débatte du texte.

L’examen du texte est en cours. Le comité en charge du commerce international au sein du Parlement européen se réunira le 29 février prochain pour en discuter. Par ailleurs, une audience se déroulera le premier mars en présence d’eurodéputés, d’universitaires, de représentants de la société civile et de l’UE. Ceux-ci discuteront des forces et faiblesses de l’ACTA. Une conférence de presse aura lieu après ces discussions.

Les collectifs d’internautes et organisations de défense des libertés restent sceptiques.

Les opposants

Jugeant l’accord liberticide, l’opposition à l’ACTA s’est organisée. Le collectif de hackers Anonymous a revendiqué la semaine dernière le piratage de plusieurs sites web, dont celui de la Commission fédérale américaine du commerce (FTC – Federal Trade Commission), à travers la diffusion d’une vidéo d’opposition à l’ACTA.

Quant à Jérémie Zimmermann, cofondateur de La Quadrature du Net, organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur internet, il a déclaré dans un communiqué : « ACTA est dangereux parce qu’il cherche à contourner la démocratie, et parce que son texte peut donner lieu à des interprétations ultra-répressives par les pays signataires et les juges (…) Aucun débat juridique ne donnera à l’ACTA une légitimité que, par nature, il ne pourra jamais avoir. »